Les finances des ménages – Analyses des simulations : A combien se chiffre le salaire décent pour les Tunisiens ?

 

Dans de nombreux pays à travers le monde, le défi persistant des salaires bas face à la montée inexorable du coût de la vie demeure une préoccupation majeure pour les travailleurs, les décideurs politiques et les économistes. Cette disparité crée un fossé économique qui impacte non seulement la qualité de vie des individus, mais également le potentiel de croissance économique et les indicateurs de stabilité sociale.

Sanctionnés par la cherté de la vie, de nombreux ménages ont basculé dans la précarité. Aujourd’hui, subvenir aux besoins des siens, parfois les plus nécessaires, n’est plus à la portée de tous, avec l’augmentation du taux de pauvreté et celui de l’endettement. Dans un contexte économique où les prix ne cessent de grimper, la question du pouvoir d’achat et du niveau de vie des ménages tunisiens est devenue centrale. Face à une inflation persistante et des dépenses qui pèsent de plus en plus lourd sur le budget familial, le salaire nécessaire pour subvenir aux besoins d’une famille tunisienne type ne cesse de changer.

La réalité des ménages est marquée par une pression financière croissante. Les prix des produits de première nécessité, tels que les denrées alimentaires, le logement et les services de base, ne cessent d’augmenter. Tandis que les salaires peinent à suivre le rythme. Cette situation met en évidence les difficultés auxquelles sont confrontées de nombreuses familles pour joindre les deux bouts. La situation devient encore plus intenable pour les familles dont le revenu est inférieur au Smig dont le montant mensuel est estimé à 460 dinars. 

Cette famille type, composée de deux adultes et deux enfants, doit, selon les cadres et standards internationaux, pouvoir accéder à une alimentation saine, à un logement décent, à l’éducation pour les enfants, aux soins de santé, ainsi qu’à d’autres besoins essentiels, sans pour autant sacrifier son bien-être et une qualité de vie satisfaisante.

L’inflation et la hausse des prix dues à une conjoncture internationale

Pour les économistes, déterminer un salaire «suffisant» n’est pas une tâche facile. Il faut prendre en compte non seulement le coût de la vie, mais aussi les disparités régionales, les variations des prix, ainsi que les spécificités de chaque famille. Une approche multidimensionnelle s’avère donc nécessaire pour établir des normes de revenu adaptées à la réalité socioéconomique tunisienne.

A cet effet, l’économiste Ridha Chkoundali, contacté par La Presse, estime que de nos jours, les revenus d’une famille tunisienne type doivent atteindre les 4 mille dinars, voire plus, pour vivre à un niveau moyen. «Les salaires sont très faibles en Tunisie par rapport aux pays voisins, outre la détérioration du pouvoir d’achat. Un Tunisien devrait percevoir 4.200 dinars pour vivre à un niveau moyen», insiste-t-il.

Selon lui, ce n’est pas un chiffre aléatoire, mais il s’agit bien d’une estimation basée sur des données et des calculs scientifiques. «Keynes (économiste britannique célèbre, Ndlr) évoque le strict minimum de subsistance. Il s’agit d’une équation qui implique l’indice de consommation et le taux d’épargne des ménages qui donne un salaire nécessaire de 4.200 dinars par mois par ménage. Cela correspond à ses besoins de logement, de nourriture et de santé, sans calculer les frais de loisirs et autres», explique-t-il.

Mais la cherté de la vie, l’inflation et la hausse des prix sont dues à une conjoncture internationale, n’est-ce pas ? Ridha Chkoundali reconnaît qu’il s’agit d’un contexte international marqué par une crise qui résulte de la pandémie et des conflits armés dans le monde. Toutefois, il estime que la situation est encore plus préoccupante en Tunisie, dans la mesure où les salaires sont très bas et le niveau de vie se hausse à un rythme accéléré.

Cela commence à chiffrer !

Une simulation approximative des dépenses d’une famille tunisienne, sachant que les coûts réels peuvent varier en fonction de nombreux facteurs, tels que le style de vie, les choix de logement, les besoins de santé spécifiques, etc, peut confirmer que ce salaire minimum doit logiquement dépasser les trois mille dinars.

Prenons en exemple une famille de quatre membres habitant à Tunis. Dans le Grand Tunis, le loyer moyen pour un appartement de trois chambres dépasse les 1.200 dinars, à cela s’ajoutent les frais d’électricité, d’eau, d’internet, pour un budget total de 1.500 dinars. Le budget alimentaire mensuel pour cette famille, selon le panier de consommation moyen, dépasse les mille dinars, soit 250 dinars par personne. Les frais de scolarité pour deux enfants dans une école publique sont estimés à plus de 500 dinars, si on prend en considération les fournitures scolaires et autres frais dont les cours particuliers. Les frais de transport mensuels pour cette famille possédant une seule voiture coûteraient 300 dinars. Les dépenses de santé, elles, sont estimées en moyenne à 200 dinars par mois. Cela fait un total d’au moins 3.500 dinars, sans prendre en considération les frais de loisirs, de vêtements et les activités extrascolaires des enfants.

Sauf qu’une enquête bisannuelle intitulée «Emploi et salaires auprès des entreprises en 2022», publiée le 25 mars 2024 par l’Institut national de la statistique (INS), montre que le salaire de base moyen en Tunisie est estimé à 924 dinars par mois. La moyenne des salaires de base moyens versés aux employés (13%) permanents dans tous les secteurs est de 822 dinars. Pour les ouvriers (55%) la moyenne des salaires de base moyens versés aux permanents dans tous les secteurs est de seulement 658 dinars.

Comment y remédier ?

Dans ce contexte économique difficile, résoudre ce problème endémique des salaires bas, notamment dans le secteur privé, par rapport au coût élevé de la vie est un défi complexe pour les autorités, sachant qu’il s’agit d’un héritage de plusieurs décennies.

Mais entre l’amendement des lois relatives au salaire minimum et les garanties de leur application effective peuvent aider à garantir que les travailleurs perçoivent des salaires décents qui répondent au coût croissant de la vie.

Dans cet esprit, l’universitaire Hamadi Tizaoui pense que tout réside dans le rôle de l’Etat dans la gestion du secteur privé, puisqu’il est le moteur de l’économie. Selon son analyse, l’Etat doit renforcer le privé pour créer de la richesse et relever le niveau de vie des travailleurs. «La moyenne des salaires en Tunisie est des plus faibles dans la région méditerranéenne, mais nous devons opérer par région et dans une approche de diversification des secteurs d’activité pour créer le développement car sans la création des richesses on ne peut pas propulser le niveau de vie des Tunisiens à un niveau supérieur», a-t-il expliqué.

Et d’ajouter que sur certains indicateurs sociaux, comme la santé et l’éducation, l’Etat remplit pleinement son rôle. Cependant, au niveau de l’activité économique, l’Etat doit contribuer à l’investissement et à la création des richesses notamment par le biais de nouveaux secteurs d’activité. «En Tunisie, le plus important c’est la contextualisation, par exemple comment gérer la situation du développement dans le nord-ouest ? Ou dans le Bassin minier ? Il nous faut des politiques multidimensionnelles pour chaque région en vue d’y diversifier le socle économique. Tout cela doit se faire en collaboration avec le secteur privé», a-t-il préconisé.

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