Crise migratoire et tension sociale : Entre sécurité nationale et approches humanitaires

 

La Tunisie a la responsabilité de protéger ses frontières et de garantir la sécurité de ses citoyens. Cela peut impliquer la mise en place de mesures visant à contrôler les flux migratoires, à prévenir l’entrée de personnes potentiellement dangereuses et à lutter contre les réseaux de trafic de personnes. En même temps, notre pays tient à porter secours, aide et assistance aux migrants irréguliers à travers ses structures et en coordination avec le Croissant-Rouge tunisien et à répondre aux besoins humanitaires des migrants, conformément au droit international.

Longtemps redoutée, la crise migratoire frappe de plein fouet la Tunisie. Les autorités ont pris les choses en main. La question migratoire a été en tête des points à l’ordre du jour du Conseil de sécurité nationale, tenu lundi soir, à Carthage, et présidé par le Chef de l’Etat. A l’ouverture du Conseil, le Président de la République a déclaré que la Tunisie, qui agit dans le cadre légal et humanitaire, ne manquera pas de prendre les mesures nécessaires pour assurer sa sécurité.
Les migrants, qui se comptent par milliers, ont choisi Sfax comme destination. Certains d’entre eux y résident depuis plusieurs années, en squattant des biens publics et privés. Ils ont même établi leurs propres structures policières et judiciaires, comme le confirment les différents rapports sécuritaires. Dans certaines délégations, la situation a fini par déraper, des affrontements entre migrants, habitants et forces de l’ordre ont eu lieu. La réponse a été immédiate, de nombreux migrants ont été déplacés vers d’autres zones, le nord-ouest en l’occurrence, mais cela reste une solution provisoire.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment la Tunisie peut-elle opérer dans un cadre humanitaire ? S’agit-il d’un contexte régional visant à faire de notre pays un centre d’accueil des migrants irréguliers ? Tant de questions alors que les réponses se font rares pour le moment.
Pour revenir aux origines de cette crise, experts et observateurs évoquent l’année 2011 durant laquelle le gouvernement tunisien a accepté l’édification, par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (Unhcr), d’un imposant camp de réfugiés à Choucha, dans le Sud tunisien, à quelques kilomètres de la frontière tuniso-libyenne. Celui-ci était surtout géré jusqu’en 2013 par les agences onusiennes, telles que l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et l’Unhcr. À la fermeture du camp, les situations irrésolues de quelques centaines de réfugiés ont perduré jusqu’à aujourd’hui.
Cette situation a encouragé l’afflux massif de Subsahariens dans les années suivantes. Ceux-ci espéraient au début transiter par la Tunisie pour se diriger vers les côtes italiennes. Mais progressivement, ils ont commencé à s’installer en Tunisie. De petits groupes, ils sont devenus de vraies communautés, surtout dans la ville de Sfax.

Des réseaux criminels et des financements douteux

Cette crise a été aggravée par l’intervention de réseaux criminels. La Tunisie est utilisée comme point de transit par les migrants subsahariens qui cherchent à atteindre l’Europe, mais certaines routes migratoires finissent parfois dans notre pays comme point d’arrivée. Et ce sont notamment ces réseaux criminels qui assurent le logement, les emplois et les déplacements de ces migrants moyennant des financements douteux. D’ailleurs, c’est le Chef de l’Etat Kaïs Saïed qui a confirmé ces informations. «L’affluence de centaines de personnes au quotidien se fait parallèlement avec l’affluence de l’argent provenant de l’étranger par milliards. J’ai pu consulter un document dans un centre à Sfax qui dispose de vingt milliards. Comment cet argent a-t-il pu être transféré et où est la Commission tunisienne des analyses financières ?», s’est-il interrogé, évoquant l’implication de certaines ONG qui ambitionnent de faire de la Tunisie un centre à ciel ouvert d’accueil de migrants. Les pays de la rive nord de la Méditerranée doivent assumer leurs responsabilités. Certaines rencontres ont été tenues ces derniers jours avec les pays européens concernés. Il y a des réseaux à l’intérieur qui sont en connexion avec d’autres à l’étranger. Tout le monde doit faire face à ce phénomène inhumain», souligne-til. Et d’ajouter : «L’argent coule à flots pour ces gens-là et ceux qui prétendent les défendre», notant l’appel d’offres publié par une organisation pour héberger ces migrants.

Comment y faire face ?

Les contrôles aux frontières de la Tunisie, ainsi que les mesures de sécurité renforcées, peuvent être une solution à cette crise, mais pour certains, ces mesures ne font qu’aggraver la crise migratoire. Consulté à cet effet, Romdhane Ben Amor, porte-parole du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (Ftdes), considère que l’approche sécuritaire et juridique répressive n’est pas la solution et que l’approche législative doit changer. Et de proposer de transférer les migrants en situation irrégulière vers des centres d’hébergement ouverts gérés par l’Etat et dotés de tous les services.
En outre, il conseille de laisser en Tunisie les migrants qui peuvent travailler et se déplacer, en leur accordant plus de droits. Il a aussi appelé à réviser les conventions passées avec la partie européenne. Pour le Ftdes, il est, donc, primordial de renforcer la coopération régionale et internationale pour faire face aux flux migratoires, en particulier dans la lutte contre les réseaux de trafic de personnes, et ce, en encourageant le partage d’informations et les bonnes pratiques entre les pays. «Les autorités préfèrent coordonner avec la partie européenne, en fermant les yeux sur les pays voisins et africains, concernés eux-aussi aussi dans une certaine mesure par ce qui se passe», a-t-il encore alerté.

Le Parlement s’active !

Ces solutions qui veulent miser sur l’approche humanitaire ne font pas l’unanimité. Contacté, le député Yassine Memmi propose des solutions plus radicales pour mettre fin à ce phénomène. Selon lui, il est inacceptable d’héberger les migrants dans des camps, encore moins dans des hôtels ou des centres spécialisés. Le député appelle même au durcissement des opérations de contrôle contre ces étrangers, cela inclut «l’interdiction de vente de puces téléphoniques». «Limiter les déplacements de Subsahariens en situation irrégulière en Tunisie en les privant de communication. Nous devons également multiplier les opérations de contrôle contre ces personnes pour éviter la détérioration de la situation sécuritaire», a-t-il insisté.
Le député ajoute que les Tunisiens ont le droit de savoir quelle politique migratoire le gouvernement est-il en train de mettre en place. Et que les citoyens doivent accéder à toutes les données et statistiques relatives au nombre exact de Subsahariens installés en Tunisie.
Il faut rappeler dans ce sillage que de nombreux députés s’activent pour programmer une plénière en vue de revenir sur cette crise migratoire.

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