Présidé par Rached Ghannouchi, le bureau exécutif d’Ennahdha est mécontent des propos exprimés par le chef du gouvernement lors de sa dernière apparition télévisée. Le mouvement et un bon nombre de ses membres influents ne laissent pas passer la moindre occasion sans réitérer la nécessité de donner « une assise politique plus confortable à l’exécutif », favoriser «les réformes nécessaires » et répondre « aux revendications de développement dans le cadre d’un large consensus national ».
Comme cela a été déjà précisé par son président, Ennahdha ne voit pas d’un bon œil l’absence de Qalb Tounès de la coalition gouvernementale, au moment où ce dernier affirme, cependant et pour la énième fois, qu’il n’est pas intéressé, encore moins concerné, par un projet voué à l’échec. Mais Ennahdha ne cherche pas seulement à impliquer le parti de Nabil Karoui, il compte aller encore plus loin en appelant au retrait du mouvement Echaâb et de Tahya Tounès de la coalition gouvernementale. Ce qui ne semble pas emballer Elyès Fakhfakh qui, tout en bénéficiant du soutien et de la confiance du président de la République, préfère continuer à travailler avec la même composition gouvernementale. Il est convaincu qu’il ne s’agit pas seulement de composer avec des partis qui nourrissent les mêmes ambitions, mais plutôt d’aller au fond des choses dans la relance socioéconomique et ne rien lâcher jusqu’au bout.
Contrairement aux habitudes, la torpeur estivale risque de déroger à la règle. L’été s’annonce propice aux polémiques et aux bras de fer politiques. Déjà, pour Belgacem Hassen, député et membre du bureau politique d’Ennahdha, le refus par le chef du gouvernement de la proposition de l’élargissement et de la révision de la composition gouvernementale ne changera rien quant à la détermination de son parti à en apporter les modifications nécessaires. Ennahdha, qui cherche une base parlementaire confortable et qui semble avoir retenu la leçon du vote de retrait de confiance du président du Parlement, a mis en veilleuse le document de stabilité et de solidarité gouvernementale.
Elyès Fakhfakh est cependant le premier concerné par ce document. Il devrait avoir son mot à dire et ses convictions à transmettre dans ce genre d’entreprise. Du moins éviter les erreurs de ses prédécesseurs. Ses erreurs à lui aussi. Cela peut prendre la forme d’un impératif absolu, mais il faut reconnaître aussi que la réussite est avant tout une affaire collective et pas seulement individuelle. Et là, l’on ne peut s’empêcher d’évoquer la solidarité plus que jamais souhaitée dans le travail gouvernemental et l’obligation de se fondre dans le cadre défini et à en accepter les règles. On prend ainsi la mesure des nouvelles exigences de la Tunisie, notamment dans le contexte de la crise sanitaire, et on réalise que derrière tout accomplissement il devrait forcément y avoir un haut degré de responsabilité.
Le pays ne peut plus subir des tensions supplémentaires. L’on admet toutefois que si l’intérêt national devait calmer l’ardeur des uns et des autres, l’embrasement du paysage politique reste fort préjudiciable. Il s’illustre encore et toujours par l’incapacité de la plupart des acteurs à gérer les problèmes de fond. Les considérations partisanes sont la principale motivation de conflits qui n’ont que trop duré. Dans toute coalition gouvernementale, il y a des moments de tension dus aux divergences, mais aussi à l’incompréhension. Mais l’ampleur des conflits typiquement tunisiens est plus qu’une incompréhension. Ils étalent au grand jour un malaise longtemps refoulé. L’intransigeance des protagonistes fait froid dans le dos. Ils se livrent « une guerre » sans merci, usant de tout. C’est tout simplement regrettable que des gens censés collaborer se laissent entraîner dans des considérations qu’on a du mal à cerner.