« La représentation de la douleur dans le discours », Sous la direction de Joëlle Gardes Tamine et Ridha Bourkhis, Edité par Jorn Boisen: La souffrance dans le Texte

1,263

« A la mémoire de Joëlle Gardes Tamine »

La douleur inhérente à la vie, à l’amour et à la littérature a fait l’objet d’un colloque international, organisé à faculté des lettres et des sciences humaines de Sousse, au cours des dernières années, avec la coopération de l’Université de Paris-Sorbonne,
de l’Université de Chouaïb Doukkali, au Maroc, de l’Université
de Copenhague et de l’Institut français de Tunisie.

Tenu durant 4 journées à la salle de soutenance « Adonis » par une belle pléiade de professeurs-chercheurs, connus  et moins connus, venant de Sousse, de Tunis, de La Manouba, de Paris, d’El Jadida, de Copenhague, de Liège, d’Arras, de Saint-Etienne, d’Aix-en-Provence, de Gabès,  de Bruxelles, de Hamburg et de Bourgogne, ce colloque a traité, non pas vraiment de la douleur, mais de la représentation,  dans le discours (surtout) littéraire,  de la douleur, celle du corps et celle de l’esprit. Douleur toujours difficile à dire, mais que la littérature sait saisir, révéler,transcender, transmuer même en jouissance, comme l’on transmue la boue en or. « Jouissance triste », dirait le regretté Georges Molinié. Jouissance paradoxalement douloureuse, presque masochiste, que « les psychanalystes connaissent mieux que personne » , constate encore l’auteur de Sémiostylistique. L’effet de l’art, en traitant du « simulacre », « se vit au-delà du plaisir, dans le trouble d’une désagrégation ou d’un séisme qui ébranle du fond de l’être, dans un branle cependant désirable » (Puf. 1998, p. 182).

C’est de ce trouble ou de ce séisme intérieur qu’il est question dans ce colloque devenu ensuite, mais avec un peu de retard tout à fait compréhensible, ouvrage collectif où les contributions des uns et des autres témoignent de cette émotion essentielle et marquante, produite dans l’intimité de l’être et au profond de sa solitude, que le langage de l’écrivain ou du patient, comme toute forme d’art, tente de dévoiler et de représenter. C’est souvent, en effet, par bribes et fragments épars, quelquefois à l’insu même du sujet, dans les sillons et les courbes de l’œuvre d’art, dans son tracé vague et flottant, que la douleur transparaît en filigrane.

Publié sous la co-direction du professeur de la Sorbonne, feu Joëlle Gardes Tamine et du professeur de l’Université de Sousse Ridha Bourkhis, ce volume envisage la problématique générale de la représentation du corps et de l’esprit souffrants, aux prises avec la maladie, la vieillesse, le mal-être, la solitude, le regret, la révolte, l’amour ou la mort. Elle se pose dans le domaine de la littérature auquel appartient le plus grand nombre des communications rassemblées, comme dans les autres arts, mais aussi dans d’autres champs disciplinaires : philosophie, médecine, psychanalyse, sociologie, etc.

Cerner la nature de cette douleur qui s’affiche ou tente de se dire à travers les mots et les images du sujet souffrant, essayer de comprendre ce que sa transcription apporte au sujet souffrant, apaisement ou nouvelle souffrance, voilà quelques-uns des objectifs de cet ouvrage.

Mais qui parle dans le texte ? Le sujet lui-même ou la maladie qui ébranle son être, le désagrège même, qui pervertit la perception qu’il a de son corps en le focalisant sur ce qui est dolent, endolori, fragilisé en lui-même ? De la discontinuité causée par la douleur à la continuité du discours, quel est le chemin parcouru ? Un des paradoxes de la transcription de la douleur est qu’elle ne peut saisir que le souvenir de la douleur : comment alors, par quels mots, par quels rythmes, peut-elle ressusciter l’intensité de la douleur une fois éprouvée, la communiquer à l’autre, l’interlocuteur, le spectateur, qui ne l’a pas ressentie ? Tentative doublement frustrante, en ce que le texte, le tableau, est toujours en deça de ce que l’on voulait y insuffler, et en ce que le public, qui n’a pas connu viscéralement la douleur qu’on veut lui faire partager, ne la connaîtra qu’intellectuellement au mieux émotionnellement, dans la tranquillité de sa lecture ou de sa contemplation.

Et pourtant, l’œuvre artistique est fondamentalement salutaire, pour le créateur comme pour le spectateur : mémoire, justification, catharcis et, plus profondément encore, combat contre la mort, la grande souffrance : « La poésie m’a volé ma mort », écrivait René Char. Geste aussi important que celui de Prométhée dérobant le feu, pour permettre à l’homme de survivre, car l’art, lui aussi, permet à l’homme de surmonter, au moins momentanément, sa douleur de vivre.

Issu du mémorable grand colloque susmentionné et édité à Copenhague grâce notamment  aux judicieuses démarches du  professeur danois Jorn Boisen et le soutien financier de la fondation danoise « Birthe et Knud Togeby », cet ouvrage comprend les communications des professeurs-chercheurs et des poètes et écrivains Michel Collot, Abdelouhed Mabrour, Lionel Ray, Mohamed Aït Rami, Françoise Lalande, Ibtissem Bouslama, Joëlle Gardes Tamine, Nourddine Sabri, Jacques Durrenmatt, Abderrazak Sayadi, Nathalie Piégay, Malek Kbou, Claude Ber, Thouraya Ben Salah, Jorn Boisen, Sana Dahmani, Danielle Bajomée, Brigitte Buffard-Moret, Silke Segler-Messner, Joëlle Ducos, Marc Durain, Georges Zaragoza, Joël July, Stéphane Chaudier et Ridha Bourkhis.

R.B.

« La représentation de la douleur dans le discours », Dir. Joëlle Gardes Tamine et Ridha Bourkhis, édité par Jorn Boisen, Copenhague, « Multivers Academic », 2018, illustration de la couverture par Karen Benedicte Busk-Jepsen, 394 pages, format 14X22, ISBN 9 788779 170285. www.multivers.dk.

Laisser un commentaire