Depuis quelques mois, la Tunisie a décidé de mettre fi n aux importations anarchiques qui nuisent à l’économie nationale. Révision d’accords de libre-échange, freinage des importations et maîtrise de la balance commerciale, une politique qui commence à porter ses fruits, mais au détriment des importateurs qui font face à de nombreux problèmes.
Le défi cit de la balance commerciale a baissé en 2023 de 8,52%, comparé à 2022. Il a atteint -9.665,7 millions de dinars fin 2023, contre -10.566,2 millions de dinars fi n 2022. Cette situation est imputée au déficit énergétique qui s’est accentué de 56,6% dans le défi cit commercial total, au cours de 2023, en comparaison d’un an auparavant. D’ailleurs, le défi cit de la balance commerciale hors énergie s’est réduit à -7.403,2 MD.
Selon les chi res de l’Institut national de la statistique (INS), les importations ont baissé de 10,8%, passant de 15.134,3 MD en 2022 à 13.496 MD en 2023. Le repli observé au niveau des importations (-4,4%) provient essentiellement de la baisse enregistrée au niveau des importations des produits énergétiques (-10,8%) et des matières premières et semiproduits (-7,3%), tandis que les importations des biens d’équipement et de consommation ont augmenté respectivement de +2,9% et +1,8%.
Les sociétés d’importations sanctionnées par une surtaxation
En Tunisie, et partout dans le monde, l’estimation du volume des importations se base sur les rapports douaniers qui décrivent les mouvements de biens et services. Les principaux produits importés concernent les matières premières comme les hydrocarbures, les minerais, les céréales et les produits de base, outre les produits manufacturés et les produits agricoles.
Ces mêmes importations sont souvent utilisées soit en tant que biens de consommation finale, soit comme des intrants à la production locale, ou encore sous forme de biens d’équipement pour l’investissement.
Autant rappeler que l’Etat exerce, par le biais de ses offices du commerce, un monopole d’importation sur les produits de base comme le riz, le sucre, les céréales, le café, mais également sur les produits pharmaceutiques, les produits pétroliers, les huiles, le ciment et les alcools.
Or ces derniers temps, dans les coulisses des sociétés de commerce international, on évoque des entraves visant à freiner les importations de différentes natures, dont notamment celles qui concernent les produits qui ne sont pas de première nécessité. A cet e et, la Chambre syndicale des sociétés de commerce international relevant de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica) apporte ses précisions. Une source au sein de cette structure nous confirme que ces sociétés ne font pas face directement à des entraves procédurières ou des obstacles, mais sont sanctionnées par une surtaxation dans une large gamme de produits.
Cette situation ainsi que l’annulation du système suspensif de la TVA en 2022 ont causé de graves problèmes fi nanciers aux importateurs qui manquent déjà de liquidités et de devises, compte tenu de la conjoncture économique de tout le pays. «Le secteur des importations, contrairement à d’autres, ne bénéfi cie d’aucun avantage fi scal. Cependant, chi res à l’appui, les sociétés de commerce international représentent 80% des exportations vers l’Afrique subsaharienne. 4.000 entreprises se sont trouvées dans l’obligation de mettre la clé sous le paillasson, ces dernières années, notamment à l’issue de la crise du covid-19», a-t-on expliqué.
Privilégier les semi-produits
Mais comment rationaliser ces importations sans nuire au tissu économique et entrepreneurial des sociétés importatrices ? L’expert en économie Moez Hadidane répond. Selon lui, l’Etat est appelé à maîtriser ces importations sans nuire, justement, aux intérêts de ces sociétés qui favorisent l’employabilité et la dynamisation de l’économie.
Il appelle à maîtriser surtout l’importation des produits qui sont fabriqués en Tunisie, dans une démarche de protection et d’encouragement de la production locale. «Il n’est pas normal que l’Etat freine l’importation de certains produits, sans qu’il n’y ait des encouragements et avantages sur le plan local», explique-t-il à La Presse.
Selon ses propos, pour perfectionner ce secteur confronté à la dépréciation du dinar et à la hausse des coûts d’importation, il faut encourager l’importation des semi-produits, plutôt que les produits fi naux. «Les produits semi-finis ou intermédiaires ont atteint l’un des stades de leur fabrication, et sont destinés à entrer dans une nouvelle phase du processus de production. Leur importation permet de créer de nouvelles chaînes de production en Tunisie et des postes de travail. Or les produits fi naux sont généralement destinés à la consommation directement», a-t-il encore précisé. Et d’ajouter : «Pour ce qui est des produits de base, l’Etat doit exercer son monopole, en revanche, il devra libérer l’importation d’autres produits et intervenir en cas de pénurie ou d’augmentation des prix pour jouer son rôle initial de régulateur».
Vers une économie protectionniste ?
Le défi cit de la balance commerciale n’a cessé de se dégrader depuis 2006, surtout durant la période postrévolution, pour atteindre en 2019 son maximum historique (19408,7 millions de dinars). A l’évidence, ce défi cit est permanent eu égard à l’existence de di cultés d’ordre structurel. Il s’agit, en l’occurrence, de la perte pérenne des parts de marché, tant au niveau international qu’au niveau de notre partenaire classique, l’Union européenne, ainsi que de la dégradation du climat des affaires, des faibles performances à l’exportation, de la concentration sur des marchés relativement peu dynamiques et des produits peu porteurs. Cependant, ce déficit peut s’expliquer également par l’augmentation des importations et ce, malgré la dépréciation continue du dinar qui aurait dû redresser la balance commerciale. Face à cette situation, le Chef de l’Etat Kaïs Saïed n’a cessé d’appeler à mettre fin aux importations anarchiques qui nuisent considérablement à l’économie tunisienne. En 2022, la Tunisie a mis en place un système de contrôle préalable des opérations d’importation des produits de consommation.
En réalité, cette décision visait à stopper l’hémorragie des devises causée par le défi cit commercial avec certains pays comme la Chine et la Turquie. Elle visait également à promouvoir la production nationale, mais a eu sans aucun doute de lourdes conséquences sur les sociétés importatrices.
La Tunisie s’est-elle réellement lancée dans une politique économique de protectionnisme déclinée en un certain nombre d’actions pour protéger les entreprises locales contre la concurrence étrangère. Parmi ces mesures qui constituent un frein à l’importation, les barrières douanières.
L’objectif d’une telle politique peut viser à la réduction du défi cit commercial, mais pour certains économistes, c’est un pari risqué. Cela pourrait conduire à des représailles pratiquées par des pays partenaires.