Mehdi Ajroudi, auteur, et Lewis Martin Soucy, réalisateur du film «Cendres», à La Presse : «Une expérience visuelle riche et un sujet original»

«Cendres» est le titre du court métrage dont le tournage vient de prendre fin dans le Sud tunisien. A l’origine de ce film qui traite d’un sujet peu effleuré de la mémoire tunisienne, un jeune Tunisien, qui a vécu entre la France, les États-Unis et la Tunisie. Mehdi Ajroudi est le scénariste et en même temps l’acteur principal de ce film. Un film qui a voulu mettre les moyens de ses ambitions pour offrir une nouvelle expérience visuelle au public, tout en respectant le contenu. Le jeune passionné de cinéma, bourré de talents et de projets, a choisi de mettre à contribution sa complicité avec le réalisateur canadien, Lewis Martin Soucy, et de s’entourer d’une équipe technique 100% tunisienne, dont Sofiane El Fani à l’image, et Moncef Taleb au son. Dans cette interview croisée, Mehdi Ajroudi et Lewis Martin Soucy nous parlent de leur projet et de leur vision du cinéma.

Pour un premier film, vous avez visé haut en termes de sujet…

Mehdi Ajroudi : L’idée de base était d’écrire un film sur l’histoire tunisienne et mettre en avant notre pays. J’ai voulu prendre à contresens le thème d’actualité repris par tout le monde, celui des jeunes qui partent clandestinement en Europe. J’ai choisi les gens qui se sont battus pour l’indépendance pour que ce pays soit notre territoire. C’était l’idée que je voulais mettre en valeur avec la complicité de Moez Belhassen, l’un des producteurs du film. On a commencé à réfléchir sur cette histoire d’un soldat français qui a commis des atrocités en Tunisie. Mon idée était aussi de mettre en avant les Fellagas pou relier les deux bouts. Une fois le scénario terminé, j’ai fait appel à Lewis, avec lequel j’ai déjà écrit un scénario.

Comment un réalisateur canadien peut-il entrer dans une histoire tunisienne ? 

Lewis Martin Soucy : Je dirais que j’ai une grande expérience du Maghreb,  de sa culture et de ses décors parce que j’y ai tourné des clips de musique, mais aussi des films dont «Les portes du soleil» avec Mike Tyson avec des amis algériens et français. Ensuite, j’ai fait beaucoup de films en Algérie et au Maroc. Tout cela est devenu très familier pour moi, ce n’était pas un choc culturel. L’histoire écrite par Mehdi traite d’un sujet que j’aime beaucoup et je sais qu’en Tunisie le sujet est très frais et que l’Indépendance tunisienne tient à cœur à beaucoup de Tunisiens, puisqu’il y a encore des blessures liées à cette période. Quand j’ai lu le scénario, j’ai dit à Mehdi : faisons-le comme film plus que comme une leçon d’histoire ou une leçon de morale. Et ce qui m’a plu dans l’histoire, c’étaient les personnages et après j’ai eu la liberté d’enlever certaines choses qui faisaient justement «didactique», c’est peut-être mon regard de «blanc bec» nord-américain qui m’a conduit à faire cela… Moi je pars du principe que le cinéma n’est pas forcément du discours.

Comment un jeune cinéaste comme vous, avez eu l’idée d’aborder un sujet que beaucoup d’anciens peinent à évoquer et que certains considèrent presque comme tabou ?

M.A : Mon père, étant tunisien et ma mère franco-italienne, j’ai vécu en France et je ne me suis jamais senti autant français qu’en vivant à l’étranger. En Tunisie, je suis considéré comme un Français. Partout à l’étranger je suis aussi bien tunisien que francias mais j’ai toujours senti les deux nationalités en moi. Je dirais que ce sujet concerne mes deux pays de naissance. Cela me tient à cœur parce que je me sens vraiment aussi bien français que tunisien. A cela s’ajoute un côté américain, de par ma formation cinématographique dont l’écriture de scénarios. Ce sujet m’importe parce qu’il me concerne plus que tout !  C’est une crise d’identité qui est déjà en moi et quand je traite ce film je ne le traite pas à partir d’un seul point de vue, mais à partir de deux angles. Je ne veux pas regarder ce film et me sentir mal en tant que tunisien ou en tant que français. Je veux regarder un film plein d’humanité. Je ne veux pas pointer du doigt un pays ou l’autre, mais je pointe des actes inhumains. L’histoire tunisienne est très riche et nous avons l’habitude d’enterrer nos morts et c’est tout. Notre histoire a été, donc, grillée, d’où le complexe d’infériorité en Afrique du Nord à l’égard de l’Amérique et de l’Europe, alors que nous sommes le berceau de l’humanité. C’est mon histoire et je n’ai aucun complexe par rapport à elle!  Si j’ai décidé de vivre en Tunisie et d’y retourner au lieu de rester aux Etats-Unis c’est parce que j’ai décidé de voir les bonnes choses qui existent ici. Ce sont ces choses-là que j’ai envie de mettre en avant aujourd’hui. Ce qu’il y a de très fort en Tunisie, c’est le «cœur» avec tout ce qu’il a de plus symbolique et pour moi il est représenté par les Fellagas dans ce film. Revivre l’histoire nous permet de connaître qui on est, d’où on vient et où on va. J’ajouterais aussi que lorsqu’on connaît notre histoire on n’est pas facilement endoctrinable.

Quels sont vos choix pour la réalisation ?

M.M.S : Avec Mehdi, nous n’avons pas voulu être dans le sentimentalisme ou la politique et sans se le dire d’ailleurs… Ce qui m’a touché, c’est la relation entre les deux hommes : le Français (ancien colon) qui revient et le jeune Tunisien, l’histoire de la colonisation en elle -même est bien connue, on n’avait pas besoin de la raconter. On avait besoin de raconter l’histoire de ces deux personnages, de leur voyage initiatique qui va les transformer, l’un au contact de l’autre.

Pourquoi avez-vous choisi Lewis Martin Soucy pour la réalisation de ce film ?

M.A : Le choix de Lewis n’est pas fortuit pour moi, parce que ça fait longtemps que je cherche à faire ce film. Pour moi, trouver un réalisateur c’est trouver quelqu’un qui a le pouvoir de mettre en images ce que j’ai dans la tête. Avec Lewis, nous avons beaucoup discuté avant de lui donner le texte et j’ai bien vu qu’il finissait mes phrases et quand je lisais ses textes, je pouvais deviner ses intentions. La réalisation est quelque chose que je voudrais faire au bout d’un moment et j’ai découvert que nous partageons la même vision des choses.

La seule manière de voir les choses comme moi, c’est être expatrié avec une multiculture. Lewis, avec une origine canadienne, une formation américaine, et un quotidien français avec une parfaite connaissance du Moyen-Orient, est un «mix» parfait pour représenter ma vision.

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