Qui se souvient encore de Tahar Ben Ammar ?

A l’instar des autres célébrations de l’indépendance de la Tunisie, on a souvent tendance à faire tomber dans l’oubli de notre mémoire collective des hommes qui ont servi le pays et qui ont déployé de grands efforts pour qu’il recouvre ses droits et sa pleine souveraineté. Parmi ces hommes, il y a Tahar Ben Ammar, l’homme qui, le 20 mars 1956, avait signé, au nom de la Tunisie, les protocoles ayant reconnu l’indépendance de notre pays. Bourguiba, qui voulait accaparer les titres de noblesse en s’étant autoproclamé «Combattant suprême» et «libérateur» de la Nation, avait fait une croix sur ses frères d’armes, au lendemain de son élection à la Constituante qui avait aboli la monarchie, en tant que Président de la République. Parmi eux,  Tahar Ben Ammar.

Pourtant, cet homme a, depuis son jeune âge, intégré le mouvement des  «Jeunes Tunisiens» que dirigeait le grand leader Ali Bach Hamba et que soutenait le réformiste zeïtounien auteur de La Tunisie martyre, cheikh  Abdelaziz Thaâlbi et avait participé activement à la création du Parti libéral constitutionnel tunisien, le fameux «Destour».

C’est aussi à lui qu’on doit la création d’une association sportive purement tunisienne qui avait pour nom le Club Africain, ce qui était interdit auparavant.

Il  s’opposa également activement à une demande formulée par la France, au nom du gouvernement tunisien, pour l’obtention d’un prêt obligataire qui était contre les intérêts du pays et sera ainsi signalé par les autorités coloniales comme étant une personne hostile à la France.

Grâce à ses influentes relations avec les milieux politique, économique, culturel et médiatique et aussi à ses qualités humaines,  Ben Ammar sera chargé de présider la deuxième délégation du mouvement national dépêchée en décembre 1920 à Paris par le Destour; la première, envoyée  quelques mois auparavant, n’ayant pu accomplir sa mission.

Parmi ses actions militantes, on signalera aussi sa présidence de la délégation tunisienne qui remettra un document récapitulant les doléances des Tunisiens, «La question tunisienne», au Chef du gouvernement français.

Pragmatique, Ben Ammar s’orientera vers la lutte au sein des structures associatives et représentatives à caractère économique et social en vue de dénoncer haut et fort les politiques agricoles coloniales qui visaient, à court, moyen et long termes, à déposséder les Tunisiens de leurs terres et insista sur les problèmes fonciers engendrés par l’occupation, dont la spoliation des terres et leurs conséquences néfastes sur les Tunisiens.

Le déclenchement des événements d’avril 1938 conduira Ben Ammar à durcir ses positions à l’encontre des colonisateurs en joignant sa voix à celle de l’ensemble du peuple tunisien. Il réussira à réunir autour de lui les dirigeants des différents partis politiques tunisiens ainsi que ceux des organisations nationales, à fonder et à présider une instance qui sera dénommée «Front national» dont le secrétaire général sera le leader Habib Bourguiba. Lequel Front soutiendra en août 1950 le nouveau gouvernement qui venait d’être formé par M’hamed Chenik et les revendications radicales qui seront rejetées le 15 décembre 1951 et seront à l’origine de la grève générale de trois jours qui fera  monter au créneau le Néo-Destour qui réclama le recours aux Nations unies.

Commencera, quelques jours après, l’oppression musclée du peuple qui se poursuivra plusieurs jours pour atteindre son paroxysme au Cap Bon, qui sera victime du déchaînement sauvage et  criminel des forces de l’occupation contre les populations civiles.

Faisant fi des mises en garde de ce dernier, Ben Ammar parvint à réunir le Front national qui adoptera  une série de revendications,  dont la pleine autonomie interne de la Tunisie, l’élection d’un parlement qui sera composé exclusivement de Tunisiens, un gouvernement formé uniquement de Tunisiens et la tunisification de l’administration publique.

Une action qui coûtera à Ben Ammar de figurer sur la liste des leaders à éliminer, établie par les autorités françaises. Il faillit être liquidé le 4 décembre 1952 et échappa à la mort par miracle. Ce ne sera pas le lendemain le cas du leader Farhat Hached qui, lui, tombera en martyr.

Il continuera a participer activement à la lutte contre toutes les tentatives françaises visant à étouffer le mouvement national tunisien et à instaurer la co-souveraineté. Combat qui sera couronné par l’adoption, le 30 juillet 1954, par le parlement français de la décision d’octroyer à la Tunisie son autonomie interne.

Ben Ammar sera appelé, à la suite de ce tournant décisif, à diriger le gouvernement tunisien (les deux gouvernements Ben Ammar, consécutifs, I et II). Il conduira ainsi, au nom de notre pays, les négociations avec la France pour l’obtention de l’autonomie interne (1954-1955) puis pour celle de l’indépendance (1956).

Le 20 mars 1956, il signera au nom de la Tunisie, comme déjà dit, les protocoles ayant reconnu l’indépendance de notre pays. Enfin, il sera élu le 8 avril 1956 membre de la constituante. En 1958, il vivra une dure épreuve, fruit de l’injustice et de l’ingratitude qu’il supportera avec dignité et qui le conduira à quitter la vie politique. Cette injustice continue à chaque fois qu’on célèbre l’anniversaire de l’indépendance en ignorant ses hauts faits.

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