Accueil Magazine La Presse Fédération générale de l’enseignement secondaire : L’urgence d’une réforme participative

Fédération générale de l’enseignement secondaire : L’urgence d’une réforme participative

La réforme du système éducatif : voilà un thème d’actualité qui, en dépit de son urgence, trébuche depuis les événements du 14 janvier 2011, se heurtant ainsi à moult obstacles d’ordre —essentiellement— politico-idéologique ! Les années 1958, 1991 et 2002 ont marqué ce système via des réformes qui suscitent, jusqu’à nos jours, beaucoup de litiges entre l’institution de tutelle d’une part et les maîtres de la profession, de l’autre. Aujourd’hui, les parents s’inquiètent de la qualité de l’enseignement de base et celui, secondaire, de leurs progénitures. Les enseignants scandent, sans relâche, des revendications pour corriger —non pas les feuilles des examens— mais le système auquel ils appartiennent et qui ne rime point avec leur perception d’un enseignement au diapason des exigences modernes.
Aussi, et dans le cadre de sa première Semaine culturelle, la Fédération générale de l’enseignement supérieur a organisé, mercredi 25 décembre 2019, à la Cité de la culture à Tunis, une conférence portant sur ce point, voire sur un projet qui urge et qui demeure suspendu jusqu’à nouvel ordre…

Portant aussi bien la casquette de secrétaire général de la Fédération que celle de modérateur de la rencontre, M. Fakhri Smiti a souligné, d’emblée, l’impératif de reprendre ce projet resté en instance. Pour lui, la réforme doit, inéluctablement, émaner d’un effort collectif, impliquant immanquablement les maîtres de la profession. «Une réforme que l’on veut pertinente —pour une fois— ne sera aucunement fondée sur des consignes parachutées», a-t-il insisté. Et d’ajouter que la Fédération tient à réussir ce projet en se conformant au principe participatif de toutes les parties concernées sans exception aucune.

La conférence a porté sur deux interventions qui ont éclairé le public sur le parcours du système, ses failles, ses points forts et sur les perspectives qui pourraient le sauver et doter, ainsi, les nouvelles générations d’une éducation intrinsèque à l’enseignement. Un système dont l’épine dorsale sera sans doute l’enseignant qui, une fois bénéficiant des bonnes conditions de travail et d’une pédagogie applicable, serait apte à donner le meilleur et à parfaire sa mission.
M. Ridha Chtioui, ex-secrétaire général du Syndicat général des conseillers de la communication et de l’orientation scolaire et universitaire, a établi une évaluation personnelle du parcours du système éducatif en se basant sur des références documentées, dont le rapport général du syndicat, le plan stratégique et sectoriel de l’éducation pour le quinquennat 2016/ 2020, les conférences données par l’Ugtt, les PV du comité de pilotage, etc. Le conférencier a cité toutes les parties concernées par la réforme et qui se penchent, chacune de son côté, sur ce projet sans pour autant créer un terrain favorable au dialogue et à la mise en application des recommandations tirées suite aux différentes réunions.

Les ressources y sont !
La synergie, non !
M. Chtioui n’a pas, néanmoins, passé sous silence les points forts du système. Il a même admis tout un patrimoine de réformes entamé depuis 1958. Après la révolution, l’Ugtt avait organisé un séminaire dont les travaux se sont étalés du 24 au 26 novembre 2014. Le thème était baptisé : «Pour une école indépendante et démocratique». Le 23 avril 2015 avait marqué le coup d’envoi du Dialogue national, ce qui annonçait les ébauches d’une nouvelle étape réformatrice, fondée sur une approche inclusive et participative. «Aujourd’hui, nous pouvons admettre qu’il existe une réelle volonté de réformer le système. Les fonds y sont et sont estimés à 5,6 mille millions de dinars dont deux mille millions de dinars n’ont toujours pas été exploités par le ministère de l’Education. Les ressources humaines sont prêtes à s’adonner à la tâche. Le comité de pilotage bénéficie d’une indépendance sans précédent par rapport à l’Ugtt», a-t-il indiqué.

Conflits d’intérêts ?
Toutefois, et malgré ces atouts avantageux, la réforme reste suspendue ! «A-t-elle été interrompue ? Reportée ? A-t-elle échoué ? Il faut dire que cette stagnation inquiétante revient à un cumul d’obstacles entravant le projet», a-t-il souligné. Il a montré du doigt l’absence d’harmonie entre les intervenants au sein de l’Ugtt, aussi bien en raison du conflit d’intérêts entre les filières qu’en raison du manque de compétence ou encore de motivation. Résultats : le cadre législatif se trouve impacté par les litiges semés par les parties concernées ; des litiges qui portent aussi sur l’Office des prestations scolaires, sur le Concours des conseillers de communication et d’orientation scolaire et universitaire, sur l’évaluation et sur la révision des manuels scolaires. «Il a même été procédé à la modification des commissions spécialisées en prenant soin de supprimer certaines et d’en créer d’autres, n’ayant à cet effet qu’un seul objectif : la création de nouvelles administrations», a-t-il indiqué. M. Chtioui en a déduit que seule la légitimation du Plan stratégique et sectoriel ( 2016/ 2020 ) intrigue la partie concernée. Il a dénoncé l’incapacité palpable de faire la part des choses et d’éviter la confusion entre projet réformateur et revendications sociales.

Les recommandations des professionnels au pied du mur…
L’orateur n’a pas manqué d’attirer l’attention sur le niveau académique qu’il juge comme frêle, voire vulnérable. «Il a été décidé de recruter pas moins de 3.000 diplômés, spécialisés dans l’animation des clubs, ce qui n’a toujours pas eu lieu», a-t-il ajouté. Il a reproché au ministère de tutelle son obstination à fermer les yeux sur les recommandations des professionnels, privilégiant ainsi la prise de décisions improvisées et parachutées. «Manifestement, poursuit-il, le système politico-éducatif préserve son statut archaïque, au détriment d’une réforme salutaire. L’article 45 de la loi d’orientation légitime le renforcement des ressources financières du système via des donations à condition de ne pas offenser la neutralité du système, ce qui est insensé ! Cet article constitue un pilier fondamental au Plan stratégique et sectoriel du ministère pour le quinquennat 2016/ 2020. Or, l’appui du Fonds international monétaire (FMI), prend justement fin en 2020. Qu’en serait-il du projet de la réforme ? Telle est la question».

Le politique décide — encore— de l’éducation
De son côté, M. Fayçel Mefteh, inspecteur général des collèges et lycées et secrétaire général adjoint de la Fédération, a axé son intervention sur les perspectives escomptées via la réforme en mettant en exergue le passage du stade théorique à celui pratique. Il s’agit d’une vision prospective que trace l’orateur, aspirant ainsi à réussir l’amalgame entre la réforme éducative, la rénovation et la modernisation du système. Il a dénoncé le faux pas du ministre de l’Education, qualifiant ses décisions de destructrices. «Pourtant, il aurait dû saisir l’opportunité pour rectifier le tir, corriger les gaffes commises jadis et préserver le statut de l’école étatique. Or, et contre toute attente, il a ébranlé le principe de l’école, à savoir son aspect étatique et sa gratuité», a-t-il souligné. L’orateur s’est arrêté, point par point, sur les erreurs altérant le système. En effet, et toujours selon ses propos, le niveau technique et pédagogique semble être de plus en plus détourné, géré qu’il est dans les coulisses du ministère. Sur le plan administratif, les intérêts sont plutôt axés sur le volet purement politique et non celui réformateur. D’ailleurs, et depuis 1958, c’est le paysage politique qui décide du secteur de l’éducation, selon une corrélation devenue récalcitrante. Pourtant, le projet de réforme s’inscrit dans la lignée patrimoniale d’un système en évolution et dont la dynamique se doit, plus que jamais, d’être à l’image des nouvelles générations et des exigences du secteur. L’orateur a mis l’accent sur le gaspillage de l’argent public par le ministère dans des affaires suspectes. «En contrepartie, poursuit-il, l’Office peine à joindre les deux bouts à cause de la réduction de son budget. Aujourd’hui, nous avons des élèves qui n’ont pas accès aux repas scolaires, sans oublier les conditions de travail souvent lamentables des enseignants».

Bien en deçà des principes du savoir
M. Meftah a parlé aussi de l’évaluation du système aussi bien par des commissions nationales que par des institutions étrangères ; une évaluation qui ouvre la voie à la multiplication des décisions infondées, comme c’était le cas pour la répartition de l’année scolaire en deux ou en trois trimestres ainsi que le changement incommodant de l’emploi du temps. «La vision prospective est, malheureusement, fondée sur un constat pessimiste. Si l’enseignement doit, logiquement et impérativement, rimer avec éducation, la réalité nous plonge tout droit dans un tableau désolant : aujourd’hui, le système n’assure ni l’enseignement —que l’on veut de qualité— ni l’éducation ! Un matraquage d’informations, des compétences et des capacités disparates et l’absence de valeurs et de créativité : voilà en gros à quoi ressemble l’abc du système éducatif actuel. La relation entre l’enseignant et l’élève se résume en des questions, des réponses et un châtiment en cas d’erreur. Or, la punition n’enseigne pas la vie», a-t-il récapitulé.

Beaucoup reste à faire !
Le conférencier a rappelé que l’approche du savoir doit obéir aux critères et normes prescrits dans la pédagogie. L’enseignant pédagogue se doit d’être le maître de son système et de sa mission. Cependant, faute d’un système en évolution enthousiasmante et de conditions dignes, sa volonté se trouve neutralisée par la démotivation. «Nous sommes appelés à cerner le profil des diplômés de demain pour parvenir à mettre les jalons du système de l’enseignement moderne. Pour ce, beaucoup reste à faire dont la restructuration du ministère de tutelle, l’adoption des recommandations des professionnels, la prise en considération des expériences internationales réussies tout en veillant à respecter les exigences nationales en la matière», a-t-il avancé. Et d’ajouter qu’il est grand temps de réviser le contenu des programmes de l’enseignement, de rétablir la direction générale des programmes et de mettre en place une unité spécialisée dans la réforme de l’éducation. Le plan de réforme doit, à son sens, s’étaler non pas sur cinq ans mais sur huit ans pour s’acclimater aux exigences d’une génération.

Charger plus d'articles
Charger plus par Dorra BEN SALEM
Charger plus dans Magazine La Presse

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *