Filière laitière en difficulté:  Des réformes qui se font attendre

La crise sanitaire, qui a provoqué une baisse de l’activité touristique, accompagnée d’une chute vertigineuse du pouvoir d’achat du citoyen,  s’est répercutée sur le secteur du lait et a engendré une  forte diminution de la demande. L’incessante augmentation du coût des intrants, notamment le prix des aliments pour bétail, a poussé beaucoup d’éleveurs de vaches laitières à vendre  leurs cheptels. Malgré sa solidité, le secteur prend l’eau.


Longtemps considéré comme un modèle de réussite et comme un fleuron de l’agriculture tunisienne, la filière lait claudique. Le modèle de gouvernance établi après l’Indépendance commence à montrer ses limites.  Bon an mal an, la filière continue à résister aux chocs successifs du marché. Mais sa pérennité est en jeu. Comment réinventer la gouvernance de la filière? Quelles sont les causes de son dysfonctionnement? Quelles sont les nouvelles politiques de prix et de subventionnement qu’il faut adopter pour faire sortir le secteur des limbes? Toutes ces questions ont été débattues, lors du webinaire «Les défis des filières lait et viandes rouges », qui a été organisé, récemment, par l’Iace en partenariat avec l’Utap. L’événement s’inscrit dans le cadre d’une série de séminaires  en ligne intitulée « 90 minutes » et organisée par l’Iace pour traiter des défis économiques actuels.

Etat des lieux du secteur 

L’événement a commencé par un aperçu sommaire de la situation de la filière lait en Tunisie. Le tableau est assez sombre. Sur neuf usines de production de lait, 2 ont déjà mis la clé sous le paillasson, tandis que deux autres unités sont dans une situation extrêmement difficile. La crise sanitaire qui a provoqué une baisse de l’activité touristique, accompagnée d’une chute vertigineuse du pouvoir d’achat du citoyen, s’est répercutée sur le secteur du lait et a engendré une  forte diminution de la demande des unités hôtelières, des cafés et des restaurants, en lait et en produits laitiers. L’incessante augmentation du coût des intrants, notamment le prix des aliments pour bétail, a poussé beaucoup d’éleveurs de vaches laitières à vendre  leurs cheptels. L’abandon de cette activité agricole  a entraîné une baisse progressive du cheptel laitier qui comptait, en 2020, près de 409.000 têtes de vaches laitières. La perte du marché libyen, poumon de l’économie tunisienne et premier pays importateur du lait tunisien, a fait que la filière prend l’eau.  Les régions de Bizerte, Jendouba, Nabeul et Béja se taillent,  à elles seules, la moitié du cheptel bovin laitier, constitué à 64% de vaches de race mixte.

Un pacte de partenariat public-privé 2019-2025 pour  redresser le secteur

Pour endiguer les menaces qui planent sur la production laitière, les intervenants de la filière ont conclu un pacte de partenariat public-privé qui s’étale sur la période 2019-2025 et qui vise à redresser le secteur. Ses principaux  objectifs sont l’augmentation de  la rentabilité qualitative et quantitative de la filière, l’approvisionnement du marché, l’appui aux  agriculteurs et  la conservation du pouvoir d’achat des citoyens. La mise en œuvre de ce partenariat tripartite, qui regroupe l’Utap, l’Utica et le ministère de l’Agriculture, piétine toujours.

Évoquant les problèmes liés au coût de production du lait, le président de l’Utap, Abdelmajid Ezzar, a fortement critiqué la politique de prix appliquée au secteur. Selon Ezzar, il est inconcevable que le prix des aliments pour bétail soit libre, alors que le prix à la consommation du lait est fixé par l’Etat.  En ce sens, le président du syndicat agricole a souligné que l’Etat doit encourager  la production locale des aliments pour  bétail, et ce, afin de réduire le coût d’importation des intrants.

Revoir la politique de prix 

De son côté, Kamel Rejaïbi, directeur général du Groupement interprofessionnel des viandes rouges et du lait (Givlait), a appelé à revoir  la politique de subventionnement appliqué au secteur. Pour Rejaïbi, il est important de subventionner davantage les agriculteurs producteurs, qui constituent le maillon le plus important de la filière. « Aujourd’hui, une bonne partie des subventions bénéficie aux opérateurs postproduction. Il faut augmenter les subventions allouées aux agriculteurs », a-t-il renchéri.

Omrane Ben Jemaâ, directeur général de l’élevage au sein de l’Office de l’élevage et des pâturages (Oep), a affirmé que le pacte de partenariat public-privé jette les bases d’un nouveau modèle de gouvernance de la filière. Il a mis l’accent sur la nécessité de revoir le système de prix appliqué à la filière qui doit être fixé selon la qualité du lait mis sur le marché.  En outre, Ben Jemaâ a mis l’accent sur l’importance d’une stratégie d’exportation permettant d’aller vers les marchés africains. « C’est depuis les années 90 qu’on a prévu une surproduction du lait en Tunisie. A ce moment-là on a déjà dit qu’il y a deux solutions qui vont absorber le surplus de production, à savoir l’exportation et la production du fromage. On voit la solution mais, à ce jour, on n’a rien fait », a-t-il ajouté.

En somme, les intervenants se sont mis d’accord sur l’urgence de réformer  la gouvernance de la filière, mais aussi de réviser les politiques de subventionnement. Des réformes, qui font l’unanimité, mais dont la mise en œuvre traîne encore.

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