Séquestration de Bourguiba, le plus vieux interdit de liberté : Une plainte sans suite

 

Les deux sont décédés. Bourguiba, le plaignant, et Ben Ali, l’accusé. De leur vivant, la justice n’a pas examiné cette plainte. Celle-ci porte sur une séquestration en résidence surveillée d’un vieil homme âgé de près de 90 ans qui ne représentait aucun danger ni menace pour la sécurité intérieure du pays. Etant tous les deux décédés, juridiquement l’affaire ne peut-être que classée. Même les juridictions spécialisées en justice transitionnelle ne peuvent non plus se prononcer. Toutefois, pour les historiens, cette plainte méconnue de l’histoire du pays offre l’occasion d’élucider les péripéties ayant concouru à l’étouffement de cette affaire.

En effet,  trois années après avoir été déposé par Ben Ali en novembre 1987, Bourguiba prend lui-même sa plume pour déposer plainte, le vendredi 2 février 1990, auprès du procureur de la République, contre Ben Ali. Chose qu’il ne comprend et n’accepte pas. Ce qu’il demande dans cette lettre, c’est d’être jugé pour toute accusation qui lui serait imputée après tant de combats au service de la nation. Pour appuyer sa requête, Bourguiba demande à être reçu afin de soumettre de plus amples détails et fournir photos et documents à l’appui.

«Je suis retenu dans la résidence du gouverneur (…), ne pouvant en sortir que sur son autorisation, et ne pouvant recevoir les membres de ma famille (…). Certes, je bénéficie des commodités d’hébergement et de restauration, mais je ne peux même pas sortir», insiste-t-il.

Ce qu’il demande, c’est de pouvoir quitter cette résidence surveillée et revendique son droit à la liberté : «Je veux retrouver mes amis et tous les habitants de Monastir». Et d’insister sur sa demande d’audience, y voyant sans doute l’occasion de porter son affaire devant l’opinion publique.

Ce document, retrouvé dans les archives de la présidence après 2011, suscite beaucoup d’interrogations.

Etait-il parvenu effectivement à son destinataire, le procureur de la République de Monastir ? Et si oui, pourquoi n’y avait-il pas donné suite, en recevant Bourguiba ou en ouvrant une instruction ? Le plus probable, c’est que la requête de Bourguiba avait été interceptée à son insu et remise à Ben Ali.

Cependant, cette lettre ne sera pas l’unique missive adressée à la présidence pour solliciter sa libération. Georges Adda, un dirigeant bien connu du Parti communiste tunisien, avait adressé à Ben Ali, le 4 novembre 1997, une lettre dans laquelle il plaidait pour la libération de Bourguiba. La lettre de Adda était émouvante. Elle traduisait la fidélité de ce grand patriote à l’homme qui a conduit la lutte du peuple pour l’indépendance, et qui a présidé par la suite à l’édification de l’Etat.

«Aujourd’hui, je suis affligé, lorsque je vois dans mon pays un de mes vieux compagnons de camp de concentration être le plus vieil interdit de liberté du monde. Je suis attristé de voir que le grand dirigeant qu’il fut ne vive pas libre à Tunis ou dans sa banlieue, près de sa famille et au milieu de ses petits-enfants et arrière-petits-enfants. Je vous prie, Monsieur le Président, de rendre pleine et entière liberté à Habib Bourguiba. Vous rendrez ainsi un grand service à la Tunisie qui n’aura plus alors le privilège d’être le pays où vit le plus vieux interdit de liberté».

Rares sont les personnes, qui depuis la déposition de Bourguiba jusqu’à sa disparition, à s’être battu avec ténacité pour obtenir la levée de sa résidence surveillée. Mohamed Sayeh, Bahi Ladgham, Hassen Ben Abdelaziz, Mohamed Sayah, Ahmed Kallala et son médecin personnel Amor Chedly avaient aussi envoyé plusieurs missives qui sont restées cependant lettre morte.

A titre d’exemple, dans une lettre que l’ancien biographe de Bourguiba, Mohamed Sayah, avait adressée le 25 avril 1990 à Ben Ali, on peut lire: «J’ose, avec votre permission, saisir encore une fois pareille occasion pour vous adresser un appel plein d’espoir pour que vous donniez vos instructions en vue de mettre fin dans les plus brefs délais à l’isolement de notre leader et lui permettre de revoir au moins tous ceux avec qui il se sent à l’aise et souhaite personnellement rencontrer».

Amor Chedly témoigne à ce propos à Leaders : «L’autorisation qui m’était attribuée se limitait à deux visites par semaine, de 17 à 23 heures.

Elle a été maintenue jusqu’au 15 février 1988. Ce jour-là, je trouvais Bourguiba furieux et irrité… Il me demanda d’aller voir les ambassadeurs de France, d’Angleterre et des USA et de dénoncer sa captivité. Lui ayant déclaré que j’effectuerai cette mission, je fus, le 17 octobre, démis de mes fonctions à l’Institut Pasteur et interdit de visite. De son côté, Bourguiba fut privé de toute visite en dehors de celle de sa famille directe». Malgré toutes ces sollicitudes, son isolement s’est poursuivi même dans sa résidence surveillée jusqu’à son décès le 6 avril 2000, à l’âge de 99 ans.

Aujourd’hui, beaucoup de voix s’élèvent pour dénoncer le sort tragique du libérateur de la nation alors qu’ils se sont tus pendant des décennies sur sa captivité injuste. Certains se réclament même d’être des adeptes du bourguibisme alors qu’en réalité, ils furent des complices passifs par leur silence assourdissant.

Un commentaire

  1. Benhassine

    08/04/2023 à 06:11

    Bourguiba a séquestré lamine bey a résidence il n’a pas assisté au funérailles de sa femme

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