Financement de l’économie | Aïcha Karafi, Chercheuse en gouvernance et transparence budgétaire à La Presse : « Les réformes du système bancaire et la gestion prudente des finances publiques sont essentielles »

 

La Tunisie est exposée à des chocs extérieurs, tels que la hausse des prix des matières premières et les perturbations économiques mondiales, qui ont un impact sur son économie. Pour surmonter ces défis, le pays a besoin d’entreprendre des réformes structurelles significatives pour stimuler la croissance, améliorer la compétitivité, réduire les déséquilibres budgétaires et encourager l’investissement. Les réformes économiques et la gestion prudente des finances publiques sont essentielles pour relever les défis actuels et promouvoir un développement économique durable.

En date d’aujourd’hui, que pouvons-nous dire sur les fondamentaux de l’économie tunisienne ?

Tout comme de nombreux autres pays du monde, l’économie tunisienne a été soumise à une série de crises et à l’émergence de bouleversements géostratégiques à l’échelle mondiale et régionale, ainsi qu’à une fréquence accrue de catastrophes naturelles, engendrant une hausse des taux de pauvreté et de vulnérabilité à l’échelle mondiale. De surcroît, la pandémie du Covid-19 et la crise russo-ukrainienne ont eu un impact considérable sur l’économie tunisienne, aggravant les problèmes structurels auxquels elle était confrontée, tout en maintenant la faiblesse persistante de plusieurs secteurs économiques. L’inflation a également continué de croître, et des perturbations dans l’approvisionnement de certaines matières premières, telles que les céréales, ont été observées, en grande partie à cause de la hausse des besoins,  due à la sécheresse qui sévit depuis plusieurs années et à l’augmentation de la migration clandestine. Néanmoins, quelques secteurs, notamment le secteur du tourisme, ont enregistré une amélioration de leur performance, contribuant ainsi à alléger les contraintes et à renforcer la résilience économique.

Comment évoluent nos agrégats ?

Les difficultés internes et la conjoncture mondiale n’ont pas permis à la Tunisie de redresser les fondamentaux de son économie. En effet, malgré les efforts déployés, des problèmes structurels persistent, entravant les réformes nécessaires pour renforcer l’économie. En outre, les conditions économiques mondiales ont également posé des défis, notamment des chocs exogènes, tels que les fluctuations des prix des matières premières et les perturbations économiques régionales. Cette combinaison de facteurs internes et externes a entravé les tentatives de redressement des fondamentaux économiques en Tunisie, créant ainsi un environnement complexe pour la croissance et la stabilité à long terme.

Quelle lecture faites-vous de la situation financière de la Tunisie en cette fin d’année 2023 ?

La situation de l’économie tunisienne est complexe et présente des défis significatifs en cette fin d’année 2023. Les principaux défis sont : la détérioration économique: l’économie tunisienne a été durement touchée par un ensemble de facteurs, notamment l’impact de la pandémie du Covid-19, des tensions géopolitiques régionales, une instabilité politique, des déséquilibres budgétaires et commerciaux, ainsi qu’une augmentation de la dette publique. Ces facteurs ont contribué à une réduction de la croissance économique, une inflation élevée et à des pressions sur les finances publiques. L’inflation est un problème préoccupant en Tunisie, moyennant un taux à deux chiffres en 2023. Cela a un impact direct sur le pouvoir d’achat des ménages et la stabilité économique.

Le déficit budgétaire est élevé et la dette publique a considérablement augmenté. Cela soulève des préoccupations quant à la soutenabilité de la situation financière du pays. Le secteur du tourisme, bien qu’il ait montré des signes de reprise, demeure vulnérable aux chocs extérieurs, aux menaces internes et aux fluctuations de la demande internationale.

La Tunisie est exposée à des chocs extérieurs, tels que la hausse des prix des matières premières et les perturbations économiques mondiales, qui ont un impact sur son économie. Pour surmonter ces défis, le pays a besoin d’entreprendre des réformes structurelles significatives pour stimuler la croissance, améliorer la compétitivité, réduire les déséquilibres budgétaires et encourager l’investissement. Les réformes économiques et la gestion prudente des finances publiques sont essentielles pour relever les défis actuels et promouvoir un développement économique durable. La crise sanitaire du Covid-19 et le conflit russo-ukrainien ont été brutaux en Tunisie comme partout ailleurs.

Quelle est l’ampleur de ces crises, notamment sur le plan budgétaire ?

Malheureusement, l’approche officielle de la crise sanitaire s’est principalement axée sur les aspects sanitaires et préventifs, mais elle n’a pas réussi à présenter une analyse économique complète de l’impact de la crise. Les dimensions économiques n’ont pas fait l’objet d’une étude approfondie et coordonnée, malgré l’importance considérable des répercussions économiques du Covid-19. Il est particulièrement préoccupant de constater que les plus pauvres et les plus vulnérables sont les plus durement touchés par cette situation. En 2020, les finances publiques ont connu une détérioration significative en raison de l’impact de la pandémie du Covid-19. Le déficit budgétaire s’est fortement creusé, passant de 3,4 % du PIB en 2019 à 9,4 % en 2020, et il s’élevait encore à 7,6 % du PIB en 2022. Dans le cadre de la loi de finances, des mesures sont prises pour ramener le déficit à 5,5 % du PIB en 2023. De plus, la dette publique a considérablement augmenté, atteignant 80% du PIB en 2022, comparé à 43 % du PIB à la fin de l’année 2010, selon les données du FMI.

Cette augmentation de la dette publique soulève des préoccupations quant à la soutenabilité financière du pays, nécessitant une gestion prudente des finances publiques et des réformes pour stabiliser la situation budgétaire. Les répercussions de la guerre en Ukraine ont sérieusement ébranlé la timide reprise économique qui avait suivi la crise sanitaire. Après une contraction de -8,7 % en 2020, une croissance de +3,1 % en 2021 et de +2,5 % en 2022, les perspectives pour 2023 sont devenues nettement plus modestes, avec une croissance prévue allant de 1,3 % selon le FMI à 1,6 % selon la loi de finances, comparé à une prévision de 2,9 % pour l’ensemble de la région Mena selon le FMI. La hausse des prix des hydrocarbures et des denrées alimentaires en 2022 a encore exacerbé les tensions financières déjà élevées dans le pays. Bien que ces tensions se soient quelque peu apaisées ces derniers temps, leur évolution reste une menace pour l’approvisionnement du pays.

Le déficit budgétaire sera financé à travers le recours au système bancaire, qui, lui aussi, nécessite une réforme en profondeur. Qu’en pensez-vous ?

Le système bancaire a traditionnellement un rôle essentiel dans le financement de l’économie en facilitant l’investissement et la croissance. Cependant, lorsque le système bancaire est contraint de financer le déficit budgétaire d’un pays au détriment de l’investissement productif, il peut y avoir un changement dans son rôle perçu. Plutôt que de soutenir le développement économique à travers des prêts à l’investissement, les banques peuvent se retrouver à allouer une part importante de leurs ressources au financement du gouvernement. Ce changement de rôle peut soulever des préoccupations, car il peut réduire la disponibilité de financement pour le secteur privé et l’investissement productif, ce qui pourrait entraver la croissance économique à long terme. Il est donc important de trouver un équilibre entre le financement du déficit budgétaire, nécessaire pour maintenir la stabilité financière, et le financement de l’investissement, crucial pour le développement économique.

Les réformes du système bancaire et la gestion prudente des finances publiques sont essentielles pour résoudre ces défis et restaurer un rôle équilibré du système bancaire dans l’économie. La perception de l’utilisation du système bancaire pour financer le déficit budgétaire en Tunisie dépendra en grande partie de la manière dont cette approche est mise en œuvre, elle est fondée sur des objectifs de réforme économique à long terme et des garanties de transparence, de redevabilité et d’efficacité qui seront mises en place. De mon point de vue, il est impératif de prendre en considération les points suivants en relation avec la problématique précitée :

– Nécessité pragmatique : certains pourraient considérer que le recours au système bancaire est une réponse pragmatique à un besoin immédiat de financement du déficit budgétaire. Dans un contexte où les finances publiques sont sous pression, cette approche peut être vue comme une solution temporaire pour faire face à des besoins urgents.

-Préoccupations quant à la dette : d’autres pourraient être préoccupés par l’augmentation de la dette publique résultant de cette méthode de financement. Une dette accrue peut entraîner des charges d’intérêt élevées à l’avenir, ce qui pourrait peser sur les finances publiques à long terme.

– Besoin de réforme du système bancaire : de nombreux observateurs estiment que le système bancaire tunisien nécessite une réforme en profondeur pour améliorer sa solidité, sa gouvernance, et sa capacité à financer l’économie de manière efficace. Les réformes pourraient inclure des mesures visant à renforcer la supervision bancaire, à réduire les risques liés aux créances douteuses, à améliorer la gouvernance des banques et à promouvoir la transparence.

-Risques potentiels : l’utilisation du système bancaire pour financer le déficit budgétaire peut comporter des risques, notamment la possibilité d’une augmentation de la dette publique et de pressions inflationnistes. La perception sur cette question dépendra également de la capacité du gouvernement à gérer ces risques de manière responsable.

-La transparence et la redevabilité : la perception sera influencée par la transparence du processus de financement, la redevabilité des autorités envers les citoyens et les marchés, ainsi que la manière dont les fonds seront utilisés pour stimuler la croissance économique et améliorer la situation financière du pays.

-Vision à long terme : les acteurs économiques et les citoyens peuvent avoir une perception positive de l’utilisation du système bancaire pour financer le déficit si cela s’inscrit dans le cadre d’une vision à long terme pour le développement économique et la réforme du secteur financier. Cela pourrait inclure des efforts pour diversifier l’économie, renforcer la compétitivité et promouvoir un climat favorable à l’investissement.

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