L’arbre: une fête pas comme les autres

Comment s’est passée «la fête de l’arbre» cette année ? La question pourrait être posée, alors que les différentes représentations régionales du ministère de l’Agriculture et les autorités concernées l’on fêtée avec la même ferveur empreinte de beaucoup de discrétion. Les événements de Gaza ne laissent personne indifférent et on se rabat sur n’importe quelle information se rapportant à ce bout de terre martyr qui souffre stoïquement et qui, malgré le déluge de feu, de haine et de sourde vengeance, tient le coup.

Toutefois nous préférons revenir à cet événement qui est de la plus haute importance pour un pays comme le nôtre.

Cette «fête» remonte loin dans l’histoire. Au lendemain de l’Indépendance, le Président Bourguiba avait décidé de faire du deuxième dimanche du mois de novembre de chaque année une «fête nationale de l’arbre».

Mais elle a des origines qui nous renvoient encore plus loin, étant donné que l’arbre est pour ainsi dire vénéré partout dans le monde. «La Journée nationale de l’arbre, ou Jour de l’arbre (Arbor day en anglais), est le nom d’une célébration où les personnes sont invitées à planter ou entretenir des arbres. La fête fut initiée par J. Sterling Morton, alors secrétaire à l’Agriculture des Etats-Unis, et Robert Furnas qui prit l’initiative de planter des arbres le 10 avril 1872 à Nebraska City».

Pour un pays comme le nôtre, cette valeur et ce symbole s’expriment par des réalisations qui ont quand même changé la physionomie de bien des régions.

Le plus marquant c’est ce qui a été fait au sud, à l’extrême sud où justement le Président de la République s’est rendu pour le rituel d’usage, dans lequel nous lisons un message : c’est bien de planter des arbres, mais les protéger, les soigner et veiller de près pour qu’ils deviennent un motif de fixation d’une population qui se cherche, et en faire des individus producteurs de richesse, est une variante, un choix qui compte pour un pays comme la Tunisie.

Deux projets complémentaires

Le Président de la République, Kaïs Saïed, a pris connaissance, dimanche, des projets de développement à Rjim Maâtoug et Al Mohdath dans le gouvernorat de Kébili.

Il s’agit de deux projets complémentaires du point de vue économique, social et environnemental. Le ministère de la Défense nationale a érigé une bande d’oasis au cœur du désert dans la région d’Al Mohdath en vue de la préparer à l’agriculture, créer des logements et fournir des services nécessaires à l’installation des habitants.

Selon une séquence de vidéo diffusée, lundi matin, par la présidence de la République sur sa page facebook, à l’occasion de la Fête de l’Arbre, le chef de l’Etat a mis en avant cette expérience «avant-gardiste», formulant l’espoir de voir cette région se transformer d’un «désert aride en une région produisant des richesses». Il a, dans contexte, jugé indispensable de promouvoir les zones désertiques.

Nous avons eu la chance d’être présent lors du lancement du projet de Rjim Maâtoug. Lorsqu’on avait annoncé le lancement de ce projet, il y avait autant de scepticisme que de curiosité. La seule garantie était la prise en main du projet Rjim Maâtoug par l’Armée Nationale.

Un projet type de développement

Hannibal (247-182 av. J.-C.), lorsqu’il rencontrait des obstacles qui lui barraient le chemin qu’empruntait son armée, avait dit à un de ses subordonnés : «Si tu ne trouves pas la route, construis-en une».

Dans un désert qui couvre des milliers d’hectares il est difficile de trouver quoi se mettre sous la dent ou une gorgée d’eau pour se rafraîchir.

Pour que ces immensités ne restent pas des terres couvertes de sable et de désolation, il fallait les apprivoiser. D’autres y ont trouvé du pétrole ou du gaz. Ils pompent à mort pour se donner les moyens de la grandeur où ils s’imaginent qu’ils y resteront à jamais.

La Tunisie a choisi un autre chemin et s’est peut être inspirée du sage qui a dit : «Quand vous plantez une graine, une fois, vous obtenez une seule et unique récolte. Quand vous instruisez les gens, vous en obtenez cent».

Et ce fut le lancement de ce projet de Rjim Maâtoug. Un point perdu dans le désert, peu gâté par la nature avec ses étendues sablonneuses, une végétation d’une désolante rareté, une pluviométrie annuelle qui se rapproche difficilement de 85 mm. Sa population était composée essentiellement de tribus nomades vivant de l’élevage d’animaux adaptés au climat saharien comme les camélidés et les ovins.

Rjim Maâtoug est d’aujourd’hui une succession de plaines où le vert domine avec une large variété de production, qui dépasse l’objectif initial, c’est-à-dire les dattes, mais on y trouve aussi les légumes et même des plantes médicinales.

Ce qui n’était tout au début qu’une tentative d’éviter l’invasion du sable, en mettant un terme à la désertification tout en protégeant l’environnement dans le cadre de la mise en œuvre des principes du Sommet de la terre de 1992, est devenu un projet type de développement.

Rigueur et discipline

C’est l’Armée Nationale qui s’était chargée de ce bout de désert, où rien ne poussait. Seul le sable, les dunes qui bougeaient sans cesse, les morsures du soleil, le jour, et le froid glacial, la nuit, étaient à l’ordre du jour de tous ceux qui s’y risquent après avoir eu l’autorisation de la Garde Nationale ou de l’armée pour oser avancer dans ces immensités désertiques. On devait donner le lieu de destination, et l’heure approximative d’arrivée. Ceux qui avaient choisi de vivre ces moments intenses étaient prévenus que ce ne sera pas facile, qu’il leur faudra une réserve d’eau suffisante et un véhicule qui tienne la route. Si les téméraires aventuriers n‘étaient pas à l’heure indiquée, une patrouille se lançait à leur recherche. Il n’y avait pas de portable pour pouvoir communiquer et s’enquérir de la situation qui prévalait. Rjim Maâtoug était donc choisi pour lancer un projet ambitieux. Et pour ce genre d’initiatives qui exigent discipline et rigueur, il n’y avait pas mieux que l’Armée Nationale qui pouvait relever le défi. Et elle l’a relevé. Des milliers de palmiers deglet nour sélectionnés, des arbres fruitiers bien choisis, des légumes ont commencé à surgir du sable. L’eau était devenue disponible grâce aux puits creusés dans les profondeurs.

Une culture en étage qui, tout en reprenant des habitudes traditionnelles séculaires, a instauré une nouvelle vision du reboisement.Autant dire joindre l’utile à l’agréable en faisant de cette contrée un lieu où des centaines et des centaines de familles sont venues s’installer pour reprendre en main les magnifiques plantations qui ont complètement changé ces lieux, bouleversé bien des habitudes, fourni un avenir pour bien des Tunisiens et des Tunisiennes. Et voilà que l’on repart pour une nouvelle expérience qui sera, n’en doutons pas, aussi positive que ses devancières.

Il faudrait cependant que l’Etat, en dépit des problèmes que vit le pays, accélère la mise en place de moyens qui mettront les courageux habitants de Rjim Maâtoug dans une meilleure ambiance de travail, tout en les convainquant qu’ils ne sont nullement isolés dans leur bout de désert….florissant. Une route goudronnée ne serait pas de trop. Le Président de la République leur a assuré que le projet de cette route existe et qu’il veillera personnellement à accélérer sa réalisation.

Ne parlons pas nombre

Pour la campagne engagée cette année, la Direction générale des Forêts relevant du ministère de l’Agriculture a lancé un défi : planter 2 millions d’arbres dans les zones les plus touchées par les incendies, cette année, de novembre 2021 jusqu’au mois de mars 2022. Espérons que cette logique du chiffre ne soit pas au détriment de la protection de la biodiversité.

Le directeur de la Direction général des Forêts, Fatin El Euch, a indiqué lors d’une conférence de presse au ministère de l’Agriculture que cette initiative a été programmée dans le cadre de l’effort national de reboisement et de développement de la couverture forestière en Tunisie, coïncidant avec la fête de l’arbre, célébrée le 14 novembre de chaque année. Le défi est de planter cette année deux millions d’arbres.

Très bien, mais qui s’en occupera ? Avec quelle eau allons-nous les arroser alors que nos barrages sont dans un état désastreux et que l’eau potable est devenue le problème numéro 1 des autorités ? Comment les classer au niveau des priorités alors que des dispositions ont été prises (pas encore appliquées) pour ne plus laver les voitures à grande eau, remplir les piscines etc…Ces arbustes pourront –ils survivre alors qu’à mi-novembre on se promène avec des chemises demi-manches ? Si l’on croit le membre de l’Utap, Tarek Al-Makhzoumi, la situation est grave, critique même. Il a avoué, lundi 13 novembre 2023, que l’état des barrages est très critique et que le pourcentage de leur remplissage diminue de jour en jour, compte tenu de l’absence de pluies. Al-Makhzoumi a ajouté que : «Les récentes précipitations n’ont pas été suffisantes et n’ont eu aucun effet sur le taux de remplissage des barrages».

Il a indiqué que le taux de remplissage des barrages du nord est estimé à 26,7%, ceux du centre à 10% et ceux du Cap Bon à 5%, tandis que le total général est estimé à 22,8%, au 10 novembre 2023.

Investir de manière

intelligente

La sécheresse est également porteuse d’incendies. A-t-on pris des dispositions pour que ces futures forêts soient à l’abri des incendies ?

En effet, on ne peut parler d’action réellement positive au niveau du reboisement sans se pencher sur la sécurité et la conservation. Escamoter cet aspect serait tout simplement, aller droit dans le mur. Au lieu d’entreprendre une campagne vouée à une réussite certaine, sans prendre un certain nombre de conclusions, on risque de perdre de l’argent et du temps. Si nous souhaitons investir de manière intelligente et sérieuse, il y a toute une stratégie à mettre en place et ne pas se suffire des mêmes agissements traditionnels.

Toute une logistique

Ce qui s’est passé l’année dernière est assez évocateur de la situation qui a prévalu et qui a réduit des années d’efforts en cendres. Pour ne plus revivre ces moment pénibles, ces risques pris pour limiter les dégâts, sauver ce qui peut l’être, il est nécessaire de donner suites aux conclusions de ce qui s’est passé l’été dernier (nous sommes encore en été).

Ces conclusions, personne n’en parle et nous ne savons pas s’il y a eu des réunions de travail dans ce sens. Rien n’a filtré au sujet des dispositions prises en cas de sinistres.

Les futures opérations de reboisement devraient, à notre sens, répondre à des critères dans lesquels la Protection Civile aurait son mot à dire.

Pour reboiser, nous ne pouvons plus choisir une zone, distribuer des plants, annoncer des chiffres et faire des promesses. La nature a son mot à dire, les services météos et leurs prévisions sont à prendre en considération et avant de se réunir pour les mettre en terre il est désormais utile d’agir de manière plus conséquente.

De toute évidence on ne peut plus reboiser comme nous l’avons fait jusque-là. Le choix des plants, leurs espèces, leur résistance au feu, au manque d’eau, etc. sont à prendre en considération. Les futures forêts calcinées ne peuvent plus être reboisées de la même manière. Dans les pays qui respectent un minimum de sécurité, il y a des pistes accessibles, des pare-feux à aménager, des conduites d’eau à rapprocher le plus possible pour faciliter les interventions, etc. Toute une logistique qui exige des fonds et que l’on ne pourra jamais mettre en place par l’effet d’une baguette magique. Mais il faut commencer et avancer pour espérer préserver ce capital.

Eduquer et préparer

Indépendamment de cet aspect, il y a le côté affectif que l’on a ou que l’on n’a pas pour un arbre, une fleur, un animal et les réflexes utiles qui devraient contribuer à la réussite de ces campagnes. Nous avons vu des arbres de décoration à El Menzah, cataloguée Cité assez aisée, complément desséchés. Les riverains, qui auraient pu profiter de leurs ombres et de l’embellissement de toute une zone, n’ont pas eu le réflexe primaire de leur donner de l’eau par cette chaleur qui a tout pulvérisé. Un enfant doit apprendre à respecter et à aimer les plantes. On lui apprend ces bonnes manières. Les dessins animés réservés aux enfants dans les pays qui ont compris qu’il ne suffit pas de planter ou de faire planter une fleur par un gamin ou une gamine suffisent pour affirmer cet amour de la nature.

Bien entendu, pour des raisons qu’il ne faudrait pas être un génie pour les deviner, la Municipalité ou ceux qui les ont plantés les ont mis en place et sont repartis sans penser à leur devenir. Le matériel roulant servant à l’arrosage manque ou fait défaut. Cela se répercute sur la fréquence et la quantité d’eau assurée pour ces plants dont le nombre est assez élevé et ne correspond pas aux capacités des municipalités concernées.

C’est la raison pour laquelle il y a toute une éducation à faire et les petites campagnes occasionnelles, très limitées dans le temps, sont insuffisantes pour expliquer, motiver, sensibiliser les jeunes et les moins jeunes.

Il est demandé, de ce fait, de ne plus annoncer des chiffres, pour ne pas risquer de se retrouver face à une question à laquelle personne n’a jamais pu répondre : combien de plants survivront à cette rigueur, à cette chaleur et tiendront-ils le coup face à ces changements climatiques qui touchent toute la planète ? Pour un bon bout de temps encore, d’après les spécialistes.

Ne pas prendre des précautions et se limiter à prendre en charge des milliers de plants ce serait risquer de les perdre quelques années plus tard et annihiler toutes les tentatives de reboiser ce qui a été détruit.

Redéployer du personnel

Nous avons tous suivi les efforts fournis par la Protection Civile pour venir à bout des incendies qui s’étaient déclarés. Des efforts surhumains, au risque de leurs vies, sur des terrains accidentés et alors que les conditions de sécurité minimales n’ont pas été prises.

Notre pays a vécu le désarroi d’un pays sinistré : des milliers d’hectares de forêts brûlés accidentellement, ou par des mains criminelles, ont réduit à néant des dizaines d’années d’investissement.

Pour reboiser, il faudrait choisir les zones, les aménager en conséquence, mettre en place des séparations, des coupe feux et désigner du personnel pour surveiller ce qui est après tout une richesse, un patrimoine que des générations et des générations sont appelées à préserver.

Cela demande de l’argent pour faire ce travail, mettre en place cette logistique, c’est certain. Mais à quoi servirait-il de planter des milliers d’arbres pour, en fin de compte, les offrir à des feux accidentels ou… provoqués ?

Et c’est la raison pour laquelle nous avons évoqué la nécessaire présence de gardiens. Les milliers de personnes, de chômeurs, recrutés dans ces sociétés de «reboisement» (que l’on dit fictives), pourraient être redéployés et formés pour servir quelque chose d’utile.

Une année pas comme les autres

Considérant la situation générale au niveau des réserves en eau qui sont devenues inquiétantes sur le plan national, il nous semble difficile d’agir sans s’adosser à un programme soigneusement étudié.

Les dernières pluies n’ayant pas agi sur le niveau de remplissage des barrages, l’état des réserves en eau qui demeure inquiétant, poussent à la prudence.

Cette situation empire avec les problèmes récurrents que posent les feux de forêts et les milliers d’hectares ravagés sur tout le territoire.

La fête nationale de cette année ne pourra pas être comme celles qui ont précédé. Il y a des dispositions à prendre et les escamoter serait commettre une grave erreur.

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