« Sorry we missed you » de Ken Loach, actuellement, en salle : Les dérives de l’ubérisation

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Nous vivons une dure époque, celle de l’asservissement au travail. La nature humaine se laisse happer par les dérives du capitalisme pesant au quotidien dans les sociétés occidentales, partout dans le monde. Ken Loach, dans son dernier long métrage unanimement salué à Cannes mais rentré bredouille, a raté de peu la Palme d’Or en 2019, en esquissant froidement mais puissamment la déshumanisation d’une classe ouvrière britannique et la dislocation progressive d’une famille issue de la classe moyenne.


Ricky face à la tourmente

« Sorry we missed you » ou « Désolé de vous avoir manqués », en français, condamne les architectes de l’Ubérisation massive, fortement appliquée de nos jours dans les sociétés contemporaines : les ravages de ce système sur l’individu et son existence sont innommables et sont dénoncés souvent par les sociologues à travers le monde. Le film fustige le système « Uber », cette menace pour le noyau familial, « déshumanisateur » à la racine et extincteur de l’intime des liens familiaux et des rapports avec l ‘autre.

Le film nous plonge dans le quotidien morose, terne, froid, redondant de Ricky, père de famille, la quarantaine devenu chauffeur-livreur « indépendant », aux ordres sans concession d’une plateforme de vente en ligne. Il doit rendre des comptes, travailler sans arrêt jusqu’à dix heures par jour, se déplacer partout, sous des ordres hiérarchiques. Ricky doit assumer les frais imprévus de déplacement, de l’achat du camion, des rendements qui sont devenus rapidement étouffants, et ce, même aux dépens de sa santé. Parallèlement, son épouse Abby, auxiliaire de vie auprès des personnes âgées, est payée au patient et à l’heure pour des tâches ménagères rudes. Les deux arrivent difficilement à joindre les deux bouts et à subvenir aux besoins de leur fils aîné souffrant d’une crise d’adolescence tumultueuse et de leur petite fille, témoin juvénile et sensible de cette tourmente infernale.

Une tragédie moderne ordinaire

On est secoué par ce drame au rythme constant, filmé d’une manière linéaire mais saisissante de réalisme : le spectateur fait la rencontre de personnes lambda et non pas d’acteurs qui jouent dans un film. Une découverte qui a rendu leur désarroi plus vrai que vrai donnant à l’œuvre l’allure d’un documentaire – reportage sur l’esclavage moderne : leur jeu est sincère, porteur de stigmates : celles d’un vécu éprouvant. Le long métrage fustige le libéralisme et les problèmes économiques actuels et raconte le quotidien de quelques familles anglaises qui survivent difficilement. Le Brexit va–t–il les dissoudre ? La justesse des faits décrits, la réalité retracée de la classe ouvrière et le regard de Loach sur les sociétés contemporaines font incontestablement de lui l’alchimiste au cinéma du drame social prolétaire.

« Moi, Daniel Blake », le précédent film à l’humour engagé de Ken Loach, a raflé la Palme d’Or en 2016. Le réalisateur de 83 ans a affirmé que c’était son dernier film avant de revenir à la charge avec « Sorry we missed you », actuellement à l’Agora, Pathé, Cinémadart et au Zéphyr.

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