« Epuisé, l’amoureux !» de Naoufel Azara : Une version revisitée de l’amour

Mise en scène par Naoufel Azara, « Epuisé, L’Amoureux ! » a vu le jour sur la scène d’El Teatro. Riche d’une panoplie d’actrices férues de théâtre et d’un seul acteur, la pièce définit autrement l’amour. Elle repasse le 16 et 17 mai 2019 toujours au même endroit.

Redéfinir l’amour en s’inspirant de l’œuvre de Roland Barthes « Fragments d’un discours amoureux » et en le calquant sur le vécu de prostituées maghrébines reste un défi de taille relevé par Naoufel Azara et son équipe sur scène composée de Jihen Cherrak, Emna Fessi, Nader Rahmouni, Samira Hamdi, Sahar El Fessi, Nadia Montassar, Manel Zarrami, Mayna Ghali et Awatef Mabrouk.

L’œuvre scénique casse avec le conventionnel  et le fait frontalement savoir en usant d’avance de la citation de Roland Barthes qui réduit le sentiment amoureux  et l’assimile à des systèmes : « Tous les arguments que les systèmes les plus divers emploient pour démystifier, limiter, effacer, bref déprécier l’amour, je les écoute, mais je m’obstine : ‘‘Je sais bien, mais quand même…’’ Je renvois les dévaluations de l’amour à une sorte de morale obscurantiste, à un réalisme-farce, contre lesquels je dresse le réel de la valeur : j’oppose à tout ‘‘ce qui ne va pas’’ dans l’amour, l’affirmation de ce qui vaut en lui ». Citait Roland Barthes. Une partie de la vision de Barthes devait prendre forme sur scène. L’allusion était difficile à cerner.

Sur pas moins de 8 mois, la pièce a mis un temps considérable avant de voir le jour. Un travail d’arrache-pied a été effectué, à commencer par une lecture ficelée de l’œuvre consistante du philosophe Roland Barthes : une véritable référence dans l’univers des lettres. Les artistes ont lu le livre en arabe et en français avant de le convertir en tunisien pour les besoins de la pièce. Le livre décortique l’amour d’une manière universelle  et étale sa complexité. Des parties entières ont été traduites au fur et à mesure, certains passages ont fini par être retenus  étant nécessaires à «Epuisé, L’Amoureux! ». Son intrigue s’éclairait peu à peu jusqu’à basculer dans l’univers de la prostitution qui demeure peu exploitable, voire tabou.

Le public assiste à de nombreuses scènes de leur quotidien. Elles défilent parfois dans le cadre d’un échange verbal épicé, cru pour certains ou même d’une chorégraphie synchronisée. Des femmes rejetées par la société, qui vivent dans la marginalité, dans la précarité, qu’on voit davantage comme de « la chair vendue », et beaucoup moins en tant que femmes, communiquent, vivent en communauté et relatent leurs expériences. Les prostituées aiment et sont aussi en manque d’amour, les prostituées ne sont pas aussi dénuées d’humanité qu’une société patriarcale le véhicule. Les prostituées, selon Naoufel Azara et son équipe, réfèrent à l’ambiguïté des relations sentimentales, à la complexité de l’amour, à la survie d’un homme dans cet univers féminin, qui reste méconnu et stéréotypé dans l’inconscient collectif.

L’immersion dans cet univers sur scène était difficile. Une épreuve d’envergure qui s’ajoute à l’exploration du livre de Barthes et à sa traduction en tunisien. Le public oscille entre perplexité et sourires, s’en prend plein les yeux mais l’œuvre s’épuise peu à peu au fil des scènes : le poids lourd du texte se fait sentir : il reste théorique et ponctué de répliques insipides. Leur ré-esquisse de l’amour devait davantage se faire sentir.  «Epuisé, L’Amoureux ! » s’inspire d’une œuvre peu accessible au grand public et étouffe finalement sous son poids.

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