Placée sous le signe de l’exception: La campagne des moissons est-elle compromise ?

Après la grève des collecteurs privés de céréales, syndicats régionaux de l’agriculture et unions régionales de l’Utap haussent le ton et accusent le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche de laxisme face aux requêtes des collecteurs qui durent depuis trois ans.


A peine a-t-elle démarré  sur les chapeaux de roue et sous de bons auspices que la campagne des moissons des grandes cultures, en l’occurrence celle des céréales s’est heurtée, à de nouveaux obstacles qui risquent de mettre à mal son bon déroulement, notamment après la grève déclenchée par les collecteurs privés qui a poussé, inévitablement, les professionnels à hausser le ton et à accuser ouvertement le ministère de l’Agriculture , des Ressources Hydrauliques et de la Pêche de laxisme et de nonchalance face aux requêtes des collecteurs, lesquelles durent depuis trois ans et portent sur une  demande de hausse de leur marge bénéficiaire.

Mécontentement général des agriculteurs

Du coup, les agriculteurs sont mécontents et  même en proie à un dilemme qui risque, malheureusement, de  mettre en péril le sort de la campagne agricole, pourtant placée sous le signe de l’euphorie tant les résultats sont jugés éloquents à biens des égards. 

Le président du syndicat régional des agriculteurs du Kef, Abderraouf Chebbi,  se montre perplexe devant l’attitude jugée passive du ministre de l’Agriculture qui, selon  ses dires, « n’a rien fait  de bon pour les secteur  agricole et l’a même ruiné », se disant très inquiet pour le sort de la campagne  des moissons, en ce que les céréaliculteurs sont pris en tenailles  et contraints  de se battre, d’après lui, contre  des moulins à vent, ne sachant plus à quel saint se vouer, au moment même où l’on assiste, dit-il, à une déroute de certaines filières agricoles, comme celles des céréales et des laitages en raison de la hausse des coûts de production;  laquelle rend pratiquement impossible leur pérennisation, d’autant plus que la main-d’œuvre agricole se fait, selon les professionnels du secteur agricole,  de plus en plus rare partout dans le pays où cependant les femmes continuent de fournir l’essentiel de la masse des travailleurs dans le secteur agricole, en dépit encore des terribles accidents de la route qui ont endeuillé plusieurs ménages ces derniers temps et qui plus est illustrent la précarité et  les mauvaises conditions de travail de ces damnées de la nature.   

De leur côté, les unions régionales de l’agriculture et de la pêche du nord-ouest ont lancé des appels pressants au gouvernement pour préserver la récolte qui serait la meilleure depuis 2003, date référence pour une campagne faste, avec plus de 20 millions de quintaux attendus cette année, et ce, grâce aux bonnes conditions climatiques qui ont prévalu tout au long de la saison agricole et à l’engagement des professionnels de ne pas céder ni devant les caprices de dame nature, après les trois saisons de vaches maigres, ni devant la hausse des coûts de production, en particulier ceux liés aux intrants agricoles, comme les semences sélectionnées et les engrais chimiques dont les prix ont augmenté de façon jugée presque exponentielle, le tout conjugué à la pénurie de main-d’œuvre.

Lundi dernier, le président de l’Utap, Abdelamajid Ezzar, a même  déclaré au Kef, à l’occasion de l’ouverture de la campagne des moissons, que le secteur agricole n’est pas soutenu comme il se devait et que l’opération de son sauvetage est devenue, à ses yeux, une urgence si l’on veut garantir la survie des activités agricoles, notamment les activités traditionnelles de céréaliculture et d’élevage bovin laitier. Autre difficultés constatée au début de cette campagne des moissons, le départ de nombreux incendies dans les emblavures céréalières dont certains seraient d’origine criminelle, tant le rythme infernal des sinistres laissait entendre, aussi bien pour les professionnels que pour les autorités, qu’il y avait anguille sous roche dans tous les sinistres enregistrés au Kef,  Siliana, Jendouba et Béja où plus d’un millier d’hectares sont déjà partis en fumée. Mais il semble qu’avec la mobilisation générale, et surtout la création de commissions régionales de lutte contre les incendies dans les emblavures céréalières et la mise en place de nouveaux systèmes de surveillance ainsi que la multiplication des patrouilles, le phénomène  s’est calmé ces derniers jours, d’autant plus que les agriculteurs, tout  déterminés qu’ils sont à  ne pas céder devant ce phénomène, ont décidé de passer la vitesse supérieure et d’engager leurs propres moyens de  surveillance de leurs terres, au demeurant arrivées à maturité ces derniers jours.

La production de colza monte en puissance 

En dépit de tout cela et des aléas climatiques qui ont détruit plus de 20 mille ha dans les trois gouvernorats du Kef, Siliana et Jendouba, suite aux chutes de grêle, les machines sont entrées  en action depuis une semaine dans les emblavures céréalières et les résultats autorisent à l’euphorie dans le pays, notamment pour la variété du colza, une graminée utilisée pour la fabrication d’une huile végétale très prisée  qui, selon les président du syndicat des agriculteurs du Kef, a donné des rendements estimés entre 22 et 24 quintaux par hectare, ce qui représente, à ses yeux, une aubaine, cette année, pour les producteurs ayant introduit ce nouveau cultivar dans la conduite des semences agricoles mises en place. Les rendements ont été, cependant, moins bons pour cette variété à Béja, car les plantes ont été, selon le président de l’union régional de l’Utap de Béjà, Chokri Djebbi, engorgées par les fortes pluies qui ont marqué la campagne agricole cette saison,  alors que leurs besoins en eau ne sont pas habituellement élevés, mais les résultats sont là tout de même, estime-t-il, l’air quelque peu jovial et souriant. 

Aussi les superficies consacrées à cette variété de céréales  ont-t-elles augmenté cette année, un peu partout d’ailleurs, comme au Kef où l’on est passé de 50 ha l’année écoulée à plus de 260 ha cette saison, tant la culture du colza commence à s’imposer comme un supplétif aux céréales traditionnelles comme l’orge et le blé dur. D’ailleurs, la variété de l’orge est en voie, à son tour, de prendre le dessus sur celles du blé dur ou tendre, comme à Siliana et au Kef où le chef du service de la vulgarisation  et de la promotion de la production agricole au commissariat régional au développement agricole, Béchir Mraihi, évoque un renversement de situation avec, sur les 200 mille ha emblavés, 130 mille pour la variété de l’orge contre 60 mille ha pour le blé dur.

Selon les données fournies par l’Observatoire national de l’agriculture (Onagri), la céréaliculture  occupe le tiers de la superficie agricole utile avec 1,2 million d’hectares cette année et une moyenne de 1,4 million d’hectares durant la dernière décennie. 

C’est une activité qui fait travailler 50 % de la main-d’œuvre agricole, soit 240 mille agriculteurs, nécessite 2,5 millions de jours de travail par an.

Jamel Tibi

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