Des décisions sous le coup de l’émotion

Editorial La Presse

IL n’est pas aisé pour un automobiliste d’appréhender les villes tunisiennes et particulièrement la capitale. Pour y circuler et surtout pour se garer, il faut être fin connaisseur des lieux interdits de stationnement. Parce que mal indiqués ou parce que les trottoirs badigeonnés de blanc et rouge sont tellement mal entretenus et écaillés qu’il est difficile de faire la différence. Il faut connaître par cœur l’emplacement des horodateurs qui fonctionnent réellement, ceux qui sont franchement en panne et ceux qui font semblant de fonctionner, mais qui crachent votre pièce de monnaie sans façon et sans prendre la peine de vous expliquer pour quelle raison. Il faut avoir en tête la carte des quelques parkings de Tunis, le plus souvent des terrains vagues aux tarifs prohibitifs, et, si possible, y avoir des pistons pour qu’ils vous laissent passer malgré la saturation de l’endroit.    

Faute de quoi, vous êtes exposés à l’intraitable mise à la fourrière. La seule prestation qui fonctionne vraiment dans notre pays avec efficacité et rapidité. De tous les services destinés au public : administratifs, fiscaux, bancaires, paiement de factures, l’enlèvement de voitures déploie un savoir-faire qui force le respect et fait pâlir de jalousie toutes les autres administrations. Dès que vous avez le dos tourné, votre voiture est hâtivement remorquée. C’est souvent l’affaire de quelques minutes. Il paraît qu’« ils » ont des indics dans chaque coin de rue qui font bien leur travail, eux aussi.

A La Presse, nous avons une vue imprenable sur la fourrière de la rue Garibaldi. C’est notre voisine d’en face. Le spectacle y est servi au quotidien et quand il ne fait pas rire, il est désolant. Des pleurs, des cris et de la colère d’usagers qui ont été pris de court par l’indomptable mécanique du « Chenguel ». Expert ès-enlèvement de voitures.

Dans ce désordre généralisé, il est compliqué pour les Tunisiens de s’y retrouver, que dire alors des Tunisiens résidant à l’étranger et des touristes. La nationalité indiquée par la plaque d’immatriculation n’est d’aucun secours. Tous logés à la même enseigne, jusqu’à dernièrement. Exception donc faite, lorsque les voitures des visiteurs sont jetées à la fourrière, non seulement ceux-ci sont pris de panique croyant à un vol, mais ne connaissant pas le secret de nos rues, ils errent comme des âmes en peine, perdant souvent des heures pour récupérer leurs biens, avec le sentiment d’avoir été roulés en plus.

Tout ça pour dire que les décisions, a fortiori publiques, celles qui engagent un Etat, prises sous le coup de l’émotion, de l’impulsivité, sans études préalables et sans vision, ne mènent à rien de bon. En revanche, elles ont des répercussions néfastes et à grande échelle. Le bon sens, mieux, le sens de l’Etat nous oblige alors de les réviser.

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