Jeunes tunisiens: La lecture, un monde enchanté

Qu’offrent actuellement les bibliothèques ? Combien de chemin devrons-nous faire pour en trouver une, alors qu’elles devraient se rapprocher de leurs lecteurs ? Implanter une bibliothèque dans chaque cité est-il trop demander ?


A partir de dix-huit heures, un petit souffle d’air frais encourage plus d’un à mettre le nez dehors. Les gamins de la Cité ont eu la même idée, tout aussi bien que quelques jeunes qui, armés d’un ballon, ont vite transformé la longue rue en champ de jeu. Les commerces des deux rives n’osaient pas souffler un mot. Ceux qui sont habitués quittent leurs comptoirs pour assister à la rencontre qui opposait les deux quartiers voisins. Inutile de préciser que les noms d’oiseaux volaient bien haut. Personnes âgées, demoiselles et dames rasaient les murs pour ne pas déranger les vedettes improvisées. Ce qui nous intéressait le plus, c’était le comportement des gamins qui s’étaient regroupés soit derrière les «buts» improvisés, soit tout au long du terrain de fortune. La majorité avait en main un… portable, deux tenaient le guidon de leurs vélos et un qui exhibait fièrement sa trottinette électrique. Aucun n’avait la bonne idée de se munir d’un conte, d’une revue pour enfants ou de quelque chose de semblable.

Plus que les jeunes

Il fut un temps où les illustrés étaient des compagnons fidèles pour bien des jeunes et même des enfants qui avaient à leur disposition des revues bien à eux. D’ailleurs, personne ne sait ce qu’elles sont devenues ces revues qui ont disparu, faute d’apports publicitaires ou de subventions de soutien. Sous la poussée des portables et les jeux qu’ils proposent, les réseaux sociaux envahissent l’espace et dévorent le temps libre. La télévision, qui s’est appropriée toutes les demeures, a fait reculer le support papier, provoquant par voie de conséquence un net recul de la lecture. Au fond de la rue, donnant sur la grande place, il y avait une librairie. C’était l’occasion de poser quelques questions pour en savoir davantage à propos de cette lecture qui semble la chose la moins partagée de nos temps. Interrogé, le libraire a été catégorique : «Ne soyez pas surpris, mais les adultes lisent beaucoup plus que les jeunes et bien sûr les enfants. Je reçois des commandes de toutes les villes de la République et même de l’étranger. Ce sont toujours les adultes qui demandent les dernières nouveautés. Les enfants qui accompagnent leurs parents et qui nous rendent visite sont le plus souvent portés vers les magazines provenant de l’étranger. Mais ils les achètent, rien que pour les gadgets qui y sont joints. La lecture, j’en doute. Il est aussi important de relever que ce n’est pas le prix de ces livres qui rebute.

Certes, les prix ont horriblement augmenté avec le coût du papier qui s’est littéralement envolé, mais c’est un choix délibéré des enfants et une faiblesse des parents. Ces revues à gadgets provenant de l’étranger sont beaucoup plus chères que les contes pour enfants».

Lire en famille

C’est un retraité qui, ayant entendu notre conversation, s’est rapproché pour nous donner spontanément son idée concernant la lecture, en cette période des vacances où on aurait dû enregistrer une montée en flèche de la vente des contes et romans destinés à ceux qui devraient profiter de ces longues journées de congé pour améliorer leur maîtrise d’une langue. «Il fut un temps où on constituait une bibliothèque dans toutes les classes et à la maison. En fin d’année, ces livres étaient offerts à la bibliothèque de l’école. A la maison, chacun avait son livre à la main. Les soirées, en fin de semaine, nous lisions en famille, un conte ou une histoire, de manière collective. Notre père ou notre mère ou notre grand frère dirigeait la conversation et pour aiguiser davantage l’aspect suspense, on essayait de prévoir ce qui allait advenir du héros ou de l’héroïne lors des prochains chapitres. Chacun y allait de son imagination et on entendait des raisonnements magnifiques qui prouvent que cette lecture collective avait un impact extraordinaire.

Dans l’état actuel des choses, il y a des enseignants, très consciencieux, dont le principal souci est de faire progresser leurs élèves et qui s’inquiètent à la fin de l’année scolaire du devenir de leurs élèves. Ce sont des enseignants qui n’ont rien à voir avec ces bouleversements politiques et syndicaux et qui sont obligés de se laisser entraîner par le courant négatif de cette profession».

Nouvelle mode

Ces éducateurs savent pertinemment que rares seront ceux qui prendraient un livre pour faire de la lecture. Cela se répercute sur leurs acquis et les élèves durant les congés scolaires demeurent, faute de lecture, dans ces deux ou trois cents mots de bagage acquis pour rédiger et s’exprimer. C’est très peu et il me semble que l’on néglige complètement cet aspect  de la question. La lecture augmente considérablement les acquis du lecteur à tous les âges. Elle favorise la réflexion, encourage les liaisons sociales, exhorte le sens de l’amitié, stimule l’amour de son prochain, pousse à l’affection envers les animaux, la nature, l’environnement, etc.

C’est la raison pour laquelle on trouvait des livres dans la maison et que les parents veillent à en acheter à l’effet d’offrir l’occasion du choix libre et spontané de ce que chaque membre de la famille voulait lire. A voir le contenu des émissions culturelles, rien n’est prévu pour les enfants. Tout est pour les adultes avec de longues tirades qui désorientent et finissent par rebuter l’auditeur ou le téléspectateur.

Dans chaque cité

Ces bibliothèques familiales qui sont devenues une coutume encouragée et à la mode aux Etats-Unis et dans bien d’autres pays européens, alarmés par l’attitude des jeunes vis-à-vis de la lecture, étaient une pratique courante dans notre pays. Ce n’est plus le cas en raison surtout de l’absence d’initiative des enseignants à l’école ou au collège et du manque de poigne des parents qui ont baissé les bras et se sont laissés déborder par leurs enfants. Le rôle des parents est en effet essentiel. Ils étaient attentifs aux questions que se posaient leurs enfants et au lever du jour, ils se précipitent pour acheter un livre ou une revue répondant aux questions posées. Faute de pouvoir acheter des livres et des contes, les parents inscrivent leurs enfants dans les bibliothèques et moyennant une somme dérisoire, souvent gratuitement, ils encouragent la lecture et assistent aux séances de commentaires. Qu’offrent actuellement les bibliothèques ? Combien de chemin devrons-nous faire pour en trouver une, alors qu’elles devraient se rapprocher de leurs lecteurs ? Implanter une bibliothèque dans chaque cité est-il trop demander ? Nous avons aimé ce passage que nous avons trouvé quelque part : «Le temps de lire, comme le temps d’aimer dilate le temps de vivre». «Lire, c’est vivre en pleine lumière». «Lire n’est pas nécessaire pour le corps, seul l’oxygène l’est, mais un bon livre oxygène l’esprit». «La lecture, une porte ouverte sur un monde enchanté».

Organisation des congés scolaires

Il faudrait reconnaître que l’agitation politique qui règne et les incitations insidieuses qui bouleversent tous les usages et toutes les habitudes ont mis un terme aux initiatives qui étaient d’usage. Les congés scolaires étaient organisés. Les organisations de jeunesse s’y attachaient et ils avaient beaucoup de succès. On participait aux activités des scouts pour apprendre à se prendre en charge, à diriger, à prendre des initiatives, à dialoguer et à convaincre, on parcourait le pays de long en large pour assister aux différents festivals, fêtes, commémorations, en habitant dans les auberges de la jeunesse. Avec ces routes coupées, ces incendies provoqués, ces grèves de transports, personne n’ose plus bouger ni autoriser des enfants ou des jeunes à aller où que ce soit.

Qui vous incite à aller vous inscrire pour faire du scoutisme? Qui sait encore où se trouve le siège des Auberges de la jeunesse ?

Comment et où pouvons-nous apprendre les premiers secours pour pouvoir se rendre utiles sur les plages ou sur les routes où on enregistre tous les jours des drames? Comment fonctionnent ces organismes, entre autres,  qui ont contribué à former bien des générations ? Personne n’en parle ? Personne ne leur donne la parole et on les ignore. Chut, le silence est le meilleur allié de l’ignorance.

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