Dream City | «Les cartes de la dignité» de Leyla Dakhli et le collectif DREAM : Raconter la dignité et ses territoires

 

Nostalgie et émotion nous submergent à la rencontre de ces manifestations populaires de la dignité, de ces vécus et de ces territoires de vies. Une émotion exacerbée lors d’un récital proposé dans le cadre de ce projet, le 30 septembre dernier, par le duo Rayen Bahri à la guitare et, au chant, Jay, qui a restitué des chants scandés lors de soulèvements populaires dans le monde arabe au cours du XXe et du XXIe siècles.

C’est dans la rue du Pacha, à la Bibliothèque Dar Ben Achour, que Leyla Dakhli et le collectif Dream ont installé leurs «Cartes de la dignité», depuis le 22 septembre jusqu’au 8 octobre, dans le cadre du festival Dream City.

Dar Ben Achour ayant appartenu depuis 1907 à l’arrière-grand-père du théologien, écrivain, syndicaliste, universitaire et intellectuel tunisien, Fadhel Ben Achour, et transformée, en 1980, après son acquisition et sa restauration dans les années 1970 par la mairie de Tunis, en bibliothèque dont la mission est de collecter et conserver les documents historiques relatifs à la Ville de Tunis, se présente comme un choix cohérent de lieu pour accueillir cette exposition qui se veut les bouts d’un même miroir tendu pour refléter des histoires de soulèvements et de révolutions qu’a connus le sud de la Méditerranée depuis les années 50.

Et c’est sur la commune notion de dignité (), qui relie et alimente ces actes de révoltes et d’insurrection, que se sont intéressés l’historienne, spécialiste de l’histoire intellectuelle et sociale du monde arabe contemporain, Leyla Dakhli, et le collectif Dream pour réaliser ce projet intitulé «Les cartes de la dignité».

L’exposition est le fruit d’un travail collectif de documentation, où art et recherche dialoguent pour figurer ces histoires sous forme de cartes sensibles enrichies de sons, d’images, d’objets, de projections témoignant de trajectoires de vie, de situations historiques et de dates clés, adapté à l’espace qui accueille l’exposition, en l’occurrence Dar Ben Achour.

La question de la dignité s’est posée comme un des aspects les plus importants de ces révoltes que des chercheuses et des chercheurs ont exploré en allant chercher des histoires dans différents territoires pour ensuite les cartographier avec des cartes artisanales faites sur leurs terrains de recherche dans lesquels ils se sont déplacés à la fois physiquement mais aussi en consultant des archives.

Explorer des terrains de vies

L’exposition se présente comme un parcours qui prend départ du patio de la demeure où une signalétique centrale annonce la couleur et des trajectoires, des situations et des moments : «Nous nous sommes intéressés du sens de la dignité, des lieux où elle prend sens à travers les femmes et les hommes qui l’incarnent et la revendiquent», lit-on.

Le parcours nous mène au premier étage vers des «Moments» de dignité, celles de «journées révolutionnaires» dans des «Situations» où se tient le «travail pour des vies dignes», mémoires de luttes, de vécus et de vies, celles entre autres des luttes dans la région du sud de la Méditerranée qui se situent par rapport au 8 mars, cette Journée internationale qui met en avant la lutte pour les droits des femmes et notamment pour la fin des inégalités par rapport aux hommes.

Dans une sorte de calendrier circulaire, où on peut situer plusieurs dates en lien avec les différentes luttes dans différents territoires (culturel, politique, social, féministe, etc.) et à côté dans une tablette, l’on peut trouver différentes archives, entre autres coupures de journaux, qui racontent les luttes féminines à l’heure des révoltes populaires comme ce fut le cas au temps de la première Intifada du peuple palestinien où la femme a joué un rôle important.

Dans la même pièce, sur un autre mur est accrochée une grande carte imprimée intitulée «Nous avons appris à nous connaître» (En quête des journalistes algériens dans la révolte d’octobre 88), où l’on a accroché et collé différents documents et autres photographies provenant des archives du Mouvement des journalistes algériens (MJA) et des journaux «El Moudjahid», «Révolution Africaine», «Tribune d’Octobre» et «Horizons», ainsi que des entretiens avec des journalistes en France et en Algérie entre 2020 et 2022. Sur le même mur on tombe sur une vidéo qui évoque ces moments et ces situations.

Un mur et quelques vieux ouvrages sur la colonisation de la Palestine, nous tombons sur une cartographie heuristique des livres sur la Palestine et Israël publiés par le Centre de recherche de l’OLP parus à Beyrouth entre 1965 et 1982.

Un peu plus loin, une installation vidéo-son nous renvoie vers les débuts de la révolution syrienne. Les révolutionnaires avaient trouvé d’ingénieux moyens pour contrer la violence armée lors des manifestations : «Les haut-parleurs de la liberté» sont nés.

L’exposition nous plonge dans ces différents temps visibles et invisibles à travers une belle cohabitation entre les différents éléments exposés qui dialoguent avec l’espace et l’habitent.

Nostalgie et émotion nous submergent à la rencontre de ces manifestations populaires de la dignité, de ces vécus et de ces territoires de vies. Une émotion exacerbée lors d’un récital proposé dans le cadre de ce projet, le 30 septembre dernier, par le duo Rayen Bahri à la guitare et, au chant, Jay, qui a restitué des chants scandés lors de soulèvements populaires dans le monde arabe au cours du 20e et du 21e siècle.

«On a l’impression de venir réveiller un petit peu des fantômes, les faire habiter cet endroit, que ce soit les fantômes de temps plus anciens mais aussi des fantômes du contemporain dans un monde qui est en train de beaucoup changer. Je trouve que c’est intéressant de penser notre présence comme un petit rappel pour évoquer des souvenirs et pour aller chercher de nouvelles réflexions sur la manière dont la Tunisie est ancrée dans sa région», note Leyla Dakhli.

A (re) vivre !

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