L’entreprise canadienne « EZO » mise sur l’intelligence tunisienne : «La Tunisie peut devenir un leader africain du secteur bancaire»

 

C’est un entrepreneur canadien qui a jeté son dévolu sur la Tunisie. A seulement 28 ans, il rêve de « changer le monde », particulièrement le monde de la finance grâce au digital. Fort d’une carrière prolifique, où il  a pratiquement touché à tout, Charles André Bergeron a fini par fonder une entreprise spécialisée dans les services financiers. Pour sa stratégie tête de pont, le choix est tombé sur la Tunisie. Décidément, le pays continue de séduire les étrangers, surtout ceux qui savent pertinemment que ses atouts l’emportent sur une conjoncture économique passagère. Le choix n’était pas, à vrai dire, fortuit, car il était motivé par les conseils de son compatriote Christian Levesque, lui aussi un natif du Québec et un Tunisien de cœur qui lui a expliqué que c’est ici qu’il va trouver ce dont il a besoin. La Presse est allée à la rencontre de ces originaires du pays de l’érable qui vouent un intérêt particulier à la Tunisie pour parler à bâtons rompus, finance digitale et banque de demain.

«ESO pour Easy Operation », tel est le nom de l’entreprise créée par Charles André Bergeron, entrepreneur, il y a deux ans au Québec. Dans sa stratégie de déploiement international, la Tunisie va jouer un rôle central, puisqu’elle sera un hub pour le reste du monde et une porte d’entrée pour l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe. Après moult visites d’exploration de marché, l’équipe s’est résolue à créer une filiale en Tunisie. Les talents ne manquent pas et en mettent plein la vue à ce jeune entrepreneur. «On a fait une tournée des universités  et je pense que la Tunisie est une mine d’or de talents», a affirmé Bergeron. 

D’ailleurs, son compatriote Christian Levesque qui, depuis qu’il s’est trouvé bloqué à Tunis en raison de la pandémie Covid-19, a élu domicile en Tunisie, corrobore ce constat. «Nous avons découvert un écosystème très dynamique en Tunisie, des universités de très grande qualité avec des étudiants qui veulent apprendre et qui ont l’intelligence dans leur apprentissage. Nous avons vu les grandes écoles et on s’est aperçu qu’il y a un grand potentiel pour pouvoir faire croître ESO dans un partenariat tuniso-canadien. C’est une très belle découverte. La Tunisie a un réel potentiel de faire tout ce qui est recherché par ESO, c’est-à-dire le développement sur l’ensemble des continents limitrophes, puis la capacité de fournir des employés de haut niveau à long terme», a ajouté Levesque. Visionnaire, le jeune chef d’entreprise, qui « adore se mouiller sur le terrain » comme il aime se présenter, prend grand plaisir à relever les défis.

L’équipe qu’il va recruter en Tunisie va l’épauler dans sa mission. «On va engager des développeurs, des gens de communication, des chargés de projet et il y a énormément de talents. Il y a beaucoup de gens ici qui sont très intelligents, et je pense qu’en travaillant ensemble, on peut leur donner l’opportunité de vraiment s’épanouir ici. Beaucoup de chasseurs de tête viennent en Tunisie pour recruter des talents et les transférer vers l’Europe ou le Canada. Nous c’est l’inverse. On veut construire en Tunisie et cela fait partie du rêve. Nous leur offrons de l’emploi pour les 25 prochaines années», a-t-il poursuivi. 

Pour plus de synergies entre les acteurs de la finance digitale

A vrai dire, l’expertise canadienne est le trait distinctif de Bergeron. Car, dans le domaine de la finance digitale, il y a des pays qui ont pris une longueur d’avance sur le reste du monde, et le Canada en fait partie. «On connaît les premiers challenges, où ça va être le blocage. Donc, en amenant la finance de demain tout de suite, on va empêcher que ces erreurs se produisent», a-t-il enchaîné.En effet, en matière de finance digitale, les disparités entre les pays du Sud et ceux du Nord sont frappantes. Selon ce jeune entrepreneur, ce gap peut être expliqué par l’absence de synergie entre les acteurs de la finance digitale.  «A mon sens, une des raisons est que les acteurs n’ont pas voulu travailler ensemble. […]  ils ne  se font pas nécessairement confiance et cela  ralentit le processus», a-t-il souligné. Il a, en ce sens, expliqué qu’une certaine dynamique est en train aujourd’hui de s’installer, un peu partout dans le monde, y compris la Tunisie, pour rattraper tout le retard pris dans ce domaine. «Je pense que récemment, dans les dernières années, il y a eu une sorte de prise de conscience. On a compris que le monde bancaire va changer», a-t-il précisé. Et de poursuivre: «Je pense que le problème du retard puise son origine dans ce manque de confiance entre les diverses parties. Ce n’est pas une question de technologies parce qu’en Tunisie il y a des talents énormes. C’était surprenant. On est allé à Novation City et je me suis senti comme si j’étais dans les hubs technologiques à Montréal. C’était  la même qualité. Il n’y a pas de raison que ça ne suive pas. Et la vague du numérique est en train d’arriver ».

 A quoi ressemble la banque de demain ? 

La démystification de la finance digitale, en point de mire, le jeune Bergeron est porté par la flamme entrepreneuriale. Son fort est sa maîtrise du domaine. D’ailleurs, il a sa petite idée de la banque de demain. Elle est  grosso modo inclusive, accessible et sécurisée. « La banque de demain, c’est la banque inclusive. C’est la banque où toute personne, qu’elle soit femme ou homme, riche ou pauvre, est  capable d’avoir un compte de banque. Si tu as zéro dinar, tu es capable de t’inscrire, tu es un étudiant à l’étranger ou ici, tu es capable d’avoir accès à la finance », détaille-t-il.

Il ajoute : « La banque de demain est une banque accessible que tu peux utiliser même si tu n’es pas connecté. Aujourd’hui, 2 milliards de personnes sont sans internet. Ce sont des gens qui n’ont pas de comptes bancaires alors qu’on est capable d’offrir des paiements offline et d’aller se rendre à cette clientèle-là sans même lui parler. […] la finance de demain, c’est une finance adaptée que tu peux utiliser comme tu veux. […] On parle d’un paiement par téléphone, par une montre, par une carte… ». Et l’entrepreneur canadien d’enchaîner : « La finance de demain est une finance sécurisée. La sécurité est très importante. Au Canada, je suis pratiquement né digitalisé et on a vu des cyber-attaques importantes. D’ailleurs, les pays qui commencent à digitaliser vivent ce que nous avons vécu il y a dix ans, parce que c’est la nature humaine ».

Il poursuit : « C’est aussi  une finance abordable « Low-cost » où les gens ne doivent pas payer 60 dinars  pour transférer 200 dollars. […]  Selon Mastercard, le volume des paiements transfrontaliers était, l’année dernière, de l’ordre de 46.000 milliards  de dollars dans le monde. Les frais moyens de ces paiements sont aux alentours de  8 à 12 %. Et ce sont les pays en développement qui s’en servent le plus. Par exemple en Tunisie, quand les gens rapatrient de l’argent, les frais sont énormes allant jusqu’à 5 dollars !. […]  Tout cet argent est retiré à la population, autant pour le particulier que pour les PME. La finance de demain, c’est une finance où le consommateur a plus de pouvoir d’achat parce que les frais sont diminués ».

C’est aussi une finance ouverte car le consommateur peut prendre sa technologie n’importe où  dans le monde. C’est, donc, une finance qui offre l’avantage de la facilité.  Évoquant la technologie de la Blockchain, Bergeron estime qu’il s’agit  plutôt d’un procédé qui permet le transfert rapide de l’information de façon sécurisée. Les protocoles de blockchain étant basés sur les mathématiques. C’est la confiance tierce, affirme-t-il.

« La blockchain permet d’effacer toute sorte de corruption dans une action. Les maths, ça ne ment jamais.  Et aussi, c’est très léger, avec des protocoles de description, on peut traiter un nombre important d’informations, les rendre super efficientes, transférables et sécurisées », a-t-il précisé. Quant à la crypto-monnaie, elle revêt, selon lui, un aspect spéculatif même si la « tokenisation a beaucoup de valeur ». 

Pour un modèle de partenariat tuniso-canadien réussi

Mais la question qui revient avec insistance est de savoir si  face à l’effervescence que le monde de la finance est en train de connaître grâce à l’irruption du digital, le système bancaire tunisien est-il suffisamment ouvert à ces changements. 

Car on a beau parler de réticence, de fermeture et même de résistance au changement. Bergeron ne partage pas du tout cet avis. Il affirme même le contraire, soulignant que plusieurs acteurs du paysage bancaire ont désormais mis le curseur sur le changement digital. « Au cours des rencontres qu’on a eues avec différentes banques, nous avons pu constater qu’il y a des acteurs qui voient que s’ils ne prennent pas le train en marche, ils vont rater ce que  le futur nous réserve », a tenu à préciser, de son côté, Christian Levesque.

Et le spécialiste canadien de la bonne gouvernance de conclure : « On pense que la Tunisie, dans l’approche qu’on est en train de développer, peut devenir un leader bancaire, au niveau de l’Afrique parce qu’on va vraiment se servir de cet écosystème-là pour donner de la confiance un peu partout à travers le monde, grâce au partenariat. Imaginez-vous, il y a une confiance derrière le Canada et il y a une confiance aussi du côté de la Tunisie, parce que vous avez vraiment l’intelligence et toutes les bonnes pratiques, les bonnes universités pour apporter les bonnes approches. Et le pouvoir de ces deux forces-là peut faire quelque chose de très grand pour l’avenir bancaire dans le monde ».

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