Lorsqu’on évoque la question de l’inclusion financière, l’on met foncièrement l’accent sur le besoin pressant de faciliter l’accès des catégories jusque-là vulnérables et écartées aux prestations financières. Les jeunes, les femmes, les personnes à faibles revenus, mais aussi les PME et les TPE sont toujours sous l’emprise d’une politique financière plutôt hostile. En Tunisie, et d’après les chiffres datant de 2014, le taux d’inclusion financière n’excède pas les 24,7%.
Dans les pays en voie de développement,—comme c’est le cas pour notre pays— le taux d’accès de la gent féminine aux prestations bancaires reste nettement inférieur à celui des hommes. D’ailleurs, seule la moitié de la population tunisienne âgée de plus de 15 ans détient un compte bancaire, un indicateur qui stagne depuis quatre décennies !
Compte tenu de ce constat négatif et vu l’importance de promouvoir l’inclusion financière, c’est-à-dire de faciliter l’accès desdites catégories sociales et des petites entreprises au financement, la Chambre nationale des femmes cheffes d’entreprises (Cnfce) et la Fondation Konrad-Adenauer ont organisé, mardi dernier à Tunis, une conférence ayant pour thème : « Inclusion financière : enjeux et défis de la transformation numérique». Ouvrant la rencontre, Mme Leila Belkhiria Jaber, présidente de la Cnfce, a indiqué que 70,5% des femmes cheffes d’entreprises se heurtent aux obstacles d’ordre financier étant donné que les banques—principales sources de financement et de crédit—sont dépourvues de tout programme de financement axé sur l’approche de genre. «L’adoption par la Banque centrale de Tunisie ( BCT) de l’inclusion financière s’inscrit dans le cadre de la discrimination positive aussi bien en faveur de la femme cheffe d’entreprise qu’en faveur des catégories jusque-là exclues de cette dynamique essentielle au développement économique. Elle promet de soutenir les femmes cheffes d’entreprises afin que leurs projets—très petits, petits ou moyens— soient durables et à forte valeur ajoutée», a-t-elle souligné.
Formation, infrastructure et mécanismes financiers
Prenant la parole à son tour, M. Holger Dix, représentant de la Fondation Konrad Adenauer en Tunisie, a rappelé que 45% de la population mondiale sont exclues du domaine financier et 77% d’entre elles sont exclues de tout service financier. Et d’ajouter que, dans les pays en voie de développement, le taux de l’exclusion financière s’avère être nettement plus imposant. «Or, pour toute croissance économique, il faut établir un système de financement. En Tunisie, la politique économique tient compte de l’étroite corrélation entre le financier et le socioéconomique. Néanmoins, il convient, poursuit-il, de miser davantage sur la formation en matière de finance, sur la création d’une infrastructure adaptée ainsi que la mise en place de mécanismes financiers».
39% des adultes n’ont pas de comptes bancaires !
La BCT entame, en effet, un nouveau programme qui vise à promouvoir l’inclusion financière, et ce, suite aux résultats alarmants, obtenus suite à l’élaboration d’une enquête sur l’exclusion financière en date de 2018. Cette enquête, qui avait touché 7.000 ménages, avait démontré que les activités financières des personnes à faibles revenus et des femmes correspondaient à seulement 3% et 6%. La disparité de genre témoigne d’une discrimination palpable, puisque seulement 51% des femmes enquêtées étaient clientes auprès des institutions financières formelles contre 71% des hommes. Même l’usage des moyens de paiement dévoile cette disparité de genre, soit 13% des femmes en disposent contre 21% des hommes. S’agissant des crédits octroyés par les structures formelles, l’enquête avait montré que seulement 16% des personnes à faibles revenus et 9% des femmes y avaient droit ! M. Marouen Abassi, gouverneur de la BCT, a continué de donner un aperçu de cette enquête qui en dit long sur les défaillances à corriger en matière d’inclusion financière. Toujours selon cette enquête de référence, 39% des adultes n’ont pas de comptes bancaires et 91% des clients des banques sont inactifs. Pis encore : seules 6% des femmes ayant des comptes en banque sont actives et s’adonnent, par conséquent, à des transactions moyennes de trois fois par semaine. «Cela prouve qu’il y a un véritable manque en matière de connaissances financières, surtout auprès des femmes», a-t-il noté. S’agissant du domaine des assurances, l’enquête avait montré que seuls 2% des adultes ont souscrit à une assurance non obligatoire.
Bientôt des établissements de paiement !
M. Abassi a rappelé les démarches effectuées par la BCT dans l’optique d’instaurer les jalons d’une inclusion financière bien fondée : l’instauration d’une stratégie nationale quinquennale entre la BCT et le ministère des Finances, le projet de loi sur l’intégration financière, lequel sera présenté, prochainement, à l’ARP pour adoption ainsi que la publication, en 2019, d’une circulaire portant sur l’état d’avancement financier, autant de mesures qui traduisent l’intérêt porté à cette approche devenue l’essence de la politique de la BCT. Il a saisi l’occasion pour annoncer l’agrément de deux ou de trois établissements de paiement dans les jours à venir. «Il s’agit d’établissements de paiement qui auront pour mission d’absorber le cash et de l’employer dans l’économie formelle. Ces établissements s’inscrivent dans le cadre d’un système nouveau, autre que celui bancaire», a-t-il souligné. La BCT s’active, aussi, sur le plan digital lequel devient intrinsèque au développement financier et socioéconomique. Ainsi, la BCT s’engage, désormais, à adopter le standbox réglementaire, ce qui implique aussi bien la maîtrise des nouvelles technologies en la matière, mais aussi l’évolution incontournable de la législation. «Nous avons réussi à sortir de la sphère impitoyable de la liste grise avec brio. Nous devons désormais œuvrer pour amoindrir le taux de risque afin de hisser le taux de réaction et augmenter notre potentiel de transparence et de fiabilité », a-t-il ajouté.
Epauler les IMF, soutenir les TPE
Mme Najia Gharbi, directrice générale adjointe de la Caisse des dépôts et des consignations (CDC), a axé son intervention sur le rôle de la Caisse en matière de promotion de la micro-finance au profit des classes vulnérables. La CDC a été, en effet, créée en 2011. Il s’agit d’une institution publique qui a pour rôle de «sécuriser et de faire fructifier les ressources financières» en assurant le statut d’initiatrice, de partenaire ou de tiers de confiance au niveau des PME. «La CDC souscrit cinq institutions de micro-finance (IMF). Nous tentons, actuellement, d’instaurer un véhicule de dettes privées afin de booster le financement des TPE», a-t-elle indiqué. Et d’ajouter que les besoins en financement relatifs à 2020 s’élèvent à 3,9 milliards de dinars. Mme Gharbi a passé en revue les volets sur lesquels s’activent la CDC ainsi que ses partenaires dont Zitouna Tamkin (qui finance les PME et les TPE axées sur les filières agricoles ) et Enda inter-arabe (soit le projet «Souk el Kehna», lequel consiste en le financement de huit start-up).
Un carnet d’épargne bi-international
La CDC vient, en outre, de créer un nouveau cahier d’épargne bi-international, qui réunit deux partenaires, à savoir La Poste tunisienne et La Poste italienne. «Il s’agit d’un projet pilote qui sera suivi d’une plateforme appropriée. Il consiste, explique-t-elle, en la mise à la disposition de la diaspora africaine et au pays d’accueil des prestations financières accessibles et facilitées. La Tunisie, le Maroc et le Sénégal seront les premiers à intégrer ce projet».