Des promesses sans lendemain

Par Jamel Msallem *

Feu ZABA a pris la fuite vers l’Arabie Saoudite le 14 janvier 2011 après que des millions de Tunisiennes et de Tunisiens ont clamé dans toutes les régions du pays le fameux slogan de la Révolution : emploi, liberté et dignité. Où sommes-nous par rapport à ce slogan ? Quel vécu après une décennie de rêves et d’attentes ?

Certes, de sortes de réformes il y a eu lieu et beaucoup de changements, mais cela reste en deçà des attentes des Tunisiennes et des Tunisiens qui ont rêvé d’une amélioration palpable de leurs conditions de vie avec une stabilité politique, économique et sociale au sein de la liberté. 

Le processus de la transition démocratique et des réformes socioéconomiques n’étaient pas faciles à installer et a nécessité la mise en place de structures dont l’aboutissement de plusieurs décrets-lois (ratification de nombreuses conventions internationales, organisation de la vie politique et associative, organisation de la presse et des médias, l’amnistie générale, loi électorale et création de l’Isie, etc.).

Puis est venue l’élection de l’Assemblée constituante et le gouvernement de la Troïka dont le parti Ennahdha avait détenu la quasi-totalité des ficelles et des postes-clés, jusqu’à la crise politique grave de 2013 qui aurait pu aboutir à une confrontation frontale, voire sanglante évitée par une feuille de route : adoption de la Constitution, élections législatives et présidentielle et mise en place d’un gouvernement de technocrates.  Cette feuille de route était adoptée à la suite par un dialogue national garanti par quatre organisations nationales (l’Ugtt, l’Utica, la Ltdh et l’Onat). Le monde entier a applaudi l’aboutissement du dialogue national, si bien que le prix Nobel de la paix 2015 lui a été décerné.

L’instabilité politique qui a caractérisé ces dix années, le maintien du même modèle de développement depuis feu Bourguiba, la mauvaise gouvernance des ressources du pays et des dons par les structures internationales et des pays amis et des prêts étrangers, l’émergence de mouvements revendicatifs corporatistes et régionaux ont poussé les différents gouvernements successifs lors de nombreux conseils régionaux à des promesses de développement et de mise en place, en un mot tous ces projets sont restés sans lendemain.

Cette fuite en avant des responsables des multiples gouvernements sont derrière des milliers de mouvements régionaux, locaux et sectoriels avec un sentiment de plus en plus partagé des couches de la société d’avoir été trahies par la Révolution. Ce sentiment devient plus explicite chez les jeunes. Le manque de confiance est caractérisé par la multiplication de tentatives d’émigrations clandestines malgré les risques sur leurs vies et le resserrement des politiques des pays de la rive nord de la Méditerranée.

Les protestations des diplômés en chômage qui ont touché même les détenteurs du diplôme de Doctorat, les exclus sécuritaires, les employés des chantiers, les coordinations régionales et sectorielles, tous ces mouvements pour le développement et l’emploi sont légitimes et adoptés par la Ltdh et par de nombreuses organisations de la société civile et il y a eu des centaines d’interventions auprès des décideurs gouvernementaux. Les objectifs de développement fixés dans des secteurs stratégiques n’ont pas été atteints, l’emploi reste l’enfant pauvre de la Révolution, les services des secteurs publics sont détériorés de façon grave. Ce tableau sombre est sur un fond de crise grave multidimensionnelle politique, financière et économique, sociale et structurelle.

La transition démocratique trébuche et c’est l’une des causes majeures de la lutte acharnée au sein de l’Assemblée des représentants du peuple, entre les différents groupes parlementaires prenant des aspects de violences verbales et même physiques, sans parler de l’utilisation de l’Assemblée pour une propagande idéologique de schémas sociétaux loin de la civilité de l’État et des principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et des autres chartes et conventions en relation avec la violence dans la société et dans les médias.  À ce titre, la qualité des rapports au sein des deux têtes aux pouvoirs, exécutif et législatif, auxquels on ajoute les accusations devenues publiques entre de hauts fonctionnaires du pouvoir de la magistrature (corruption et être à la solde de partis politiques) n’ont fait qu’approfondir la décadence de l’État de droit et des principes de la citoyenneté. Devant ces aspects non exhaustifs de la situation du pays et l’urgence de sortir de cette crise, les acteurs politiques et ceux de la société civile doivent assumer leurs responsabilités pour sortir de l’actuel bourbier et trouver un échéancier à adopter dans l’immédiat pour assainir la scène politique, et pour en fin de compte trouver des solutions réalisables.

Les différentes initiatives pour un dialogue national doivent prendre en considération le maintien et le renforcement des acquis de la Révolution, surtout en matière de droits et de libertés, surtout que nous avons observé ces dernières années des prémices de volte-face de certains engagements de l’État. L’État de droit, vigilant, présent et surtout soucieux des droits de l’Homme au sens fort du terme, est à la fois inscrit au sein de la Révolution tunisienne, de la Constitution de janvier 2014 et des valeurs universelles dont la Ligue tunisienne des droits de l’homme est garante.

Ce combat est actuel, il a une histoire et il est, n’en déplaise à certains, à venir.

(*) Président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme

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