Artistes en résidence — Centre des Arts Vivants de Radès — œuvre de Mouna Fradi: Rhizomique

«Le ciel tourné autour de moi, la terre est fixe, il tourne, tourne et tourne, plus rien n’existe… des questions suspendues dans l’espace… le temps est unité, le temps est une continuité indéfinie, un milieu où se déroulent la succession des événements et des phénomènes, les changements, mouvements, et leur représentation dans la conscience… c’est un point repérable dans une succesion par référence à un avant et un après…»

Le Centre des arts vivants de Radès (Cavr)  a dévoilé, du 26 septembre au 2 octobre, les travaux de sortie de résidence des trois jeunes artistes Mariem Barka, Siryne Eloued et Mouna Fradi, elles y ont présenté les traces de leurs pérégrinations artistiques.

Comme pour d’autres avant elles (100 artistes plasticiens), la sélection est faite annuellement par une commission qui siège au ministère des Affaires culturelles, suite à un appel à candidature avec présentation d’un dossier et d’un programme de travail. Trois candidats sont choisis et ont à leur disposition des ateliers individuels et une bourse qui leur permet de se consacrer à un projet artistique de leur choix durant 11 mois. Le séjour démarre le 1er novembre et s’achève le 30 septembre, à son issue, le Centre organise une exposition de fin de séjour des activités des résidents, qui peut avoir lieu au Centre ou dans une galerie de leur choix.

Intitulée «Oneiros», l’exposition de cette année nous a projetés dans des univers très singuliers faits  «de songes, de formes, d’images échappant à la nuit et des mots emportés vers un ciel étoilé».

Aujourd’hui, nous parlerons du travail de Mouna Fradi. Née en 1993 à Sousse, elle est diplômée de l’Institut supérieur des Beaux-Arts de Sousse. Après l’obtention de son mastère de recherche en arts plastiques en 2018, elle s’inscrit en doctorat de thèse en Esthétiques et pratiques des arts pour se consacrer à la recherche et l’expérimentation plastique. Mouna a pris part à plus d’une dizaine d’expositions collectives entre Sousse (Elbirou Art Gallery) et Tunis (la Bibliothèque nationale et la galerie Alain Nadaud). Elle s’intéresse à des matières organiques comme matériaux et matières pour  ses installations, photographies, vidéo et autres gravure et graphismes.

Pour «Oneiros», la jeune artiste a proposé un travail qui explore la connexion entre l’organique et le quotidien où elle décortique les perceptions respectives du rapport temps et espace.

«Avant d’entamer cette résidence, je travaillais comme documentariste à l’Ecole internationale française de Sousse. Le système devenu numérisé de la bibliothèque,  il fallait se débarrasser de système de fiches et autres cartes . L’idée m’est venue de recycler ces cartes et de les exploiter dans mon travail». Abordant ces cartes comme matériaux et matières pour leur donner de nouveaux devenirs tout en gardant des bouts de leurs vies antérieures… L’idée, comme elle l’explique, était de raconter leurs histoires en les décomposant en fragments, en les suspendant (dans le temps) et en les confrontant à leur origine: l’arbre.

Les arbres avec leurs différentes incarnations (comme la sagesse et le savoir d’où le parallèle avec les fiches de bibliothèque),  leurs extraordinaires réseaux, leurs rhizomes, fractales…L’arbre et les mouvements qu’il génère, ses changements et son interaction avec son environnement.  «L’arbre est une unité du temps, toujours là, incarné dans l’espace», note-t-elle. Un temps lent, abstrait que l’on ne figure pas dans l’immédiat, un temps organique distillé dans sa sève, dans des racines, un temps qui échappe à nos quotidiens statiques… Mouna évoque l’exemple de cette plante que l’on a chez soi et dont on prend conscience du jour au lendemain qu’elle a  considérablement poussé…

C’est ainsi qu’est née la vidéo «Feuilles» , qui déclencha, comme elle le souligne, tout le processus de son travail. D’une durée de 10 minutes 38, se présentant en différentes parties avec comme transition l’image filmée de fiches de bibliothèque que la jeune femme fait tremper dans l’eau pour mieux révéler leurs inscriptions, leurs histoires…

La vidéo commence par des cartes/fiches suspendues dans les branches d’un arbre pour ensuite se superposer sur l’image des feuilles de l’arbre. La voix de Mouna raconte leurs vies antérieures.

 

Une autre partie en split screen, avec d’un côté la vidéo de ses mains accrochant les cartes dans les branches et de l’autre sa main tournant les pages d’un livre avec, comme fond sonore, la voix du commentateur d’un documentaire qui parle du rapport espace/ temps. Vient ensuite la voix de Mouna qui déclame: «La branche d’un arbre est l’extention d’une main… une main qui fait tourner les pages sans compter les heures… il y a une vie qui coule dans les veines… un livre vit pour l’éternité…. la longévité d’un arbre peut se compter en siècles, voire en milliers d’années… tu n’as que le moment présent…»

Un parallèle est établi entre les nervures et autres rhizomes de l’arbre et les veines de la main,  deux réseaux dont la connexion échappe à notre conscience…

Dans la dernière partie de la vidéo, tout en manipulant des bandelettes extraites des fameuses cartes de bibliothèque,  pour les disposer dans différentes compositions, la jeune femme parle du Temps: «Le ciel tourné autour de moi, la terre est fixe, il tourne, tourne et tourne, plus rien n’existe… des questions suspendues dans l ‘espace… le temps est unité, le temps est une continuité indéfinie, un milieu où se déroulent la succession des événements et des phénomènes, les changements, mouvements, et leur représentation dans la conscience… c’est un point repérable dans une succession par référence à un avant et un après…»

Ramifié comme l’arbre, le travail de Mouna se fractalise en dessins et en gravures, exploitant toujours les fameuses fiches qui sont sujets,  supports et matériaux.

Bon vent!

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