Vision plus: « El Maestro » et « Nouba » : la musique manque le moins

Comme leur titre l’indique, la musique est un personnage principal  d’« El Maestro » de Lassaâd Oueslati, feuilleton de 20 épisodes, diffusé sur la chaîne publique Watania 1, et « Nouba » d’Abdelhamid Bouchnak sur Nessma TV. Ce qui constitue une première dans les fictions télévisées ramadanesques. Paradoxalement, c’est la musique qui manquait le moins dans ces feuilletons. On s’attendait à des compositions originales marquantes, malheureusement la déception était grande sur ce volet bien que ces deux feuilletons aient bénéficié du satisfecit des trois jurys organisés par des médias nationaux. En effet, ils ont raflé la plupart des prix.

« El Maestro » a tout d’abord révélé un réalisateur dont c’est la première expérience à la télévision. Habitué des plateaux de cinéma où il a travaillé longtemps comme assistant réalisateur et producteur, Lassaâd Oueslati compte au cinéma un court métrage : « La citerne » (2006) et deux moyens métrages : « L’homme perdu » (2004) et « Mémoire d’une femme » (2008);  il a donc acquis un bon parcours qui l’a aidé à entamer une nouvelle expérience à la télévision où le mode de production diffère de celui du cinéma.

Venant du cinéma où les exigences en matière de production et de mise en scène sont plus ardues, le jeune réalisateur a réussi à offrir à El Wataniya 1 un feuilleton sur mesure aseptisé sans contre-indications, autrement dit, pondéré sans grossièretés, ni vulgarités bien que le sujet s’y prête volontiers puisque l’action se déroule dans un établissement de redressement où de jeunes délinquants sont livrés, en principe, à tous les écarts. Or, ces jeunes ressemblent à de doux agneaux dressés à la baguette, d’abord  celle du proviseur qui leur en fait voir des vertes et pas mûres et puis celle plus douce du musicien qui leur apprend le chant et la musique. La musique n’adoucit-elle pas les mœurs, comme dit l’adage.

Fortement inspiré d’un film français, « Les Choristes », que nous avons évoqué dans un article publié sur les colonnes de La Presse du 2/4/2019 ainsi que de l’expérience personnelle du musicien Riadh Fehri dans un établissement de rééducation de jeunes délinquants, « El Maestro » parait séduisant dans l’ensemble au plan de l’image, du jeu des acteurs, en particulier Fethi Heddaoui qui mérite une mention spéciale, mais souffre d’une certaine monotonie due essentiellement à la construction dramatique. Les longueurs des scènes répétitives sont insupportables. Une quinzaine d’épisodes auraient suffi amplement d’autant plus qu’on a compris, dès le départ, l’issue de l’histoire.

Dans un feuilleton qui se veut centré sur la musique, le point faible est justement le volet musical. Malgré les qualités dont jouissent le musicien et le compositeur Riadh Fehri, la musique du feuilleton n’est pas retentissante, à commencer par le générique puis les morceaux chantés soi disant volontairement par les jeunes à savoir Oum Kalthoum ou encore des refrains du répertoire tunisien. Dans un établissement de redressement cela ne semble pas crédible. Même le spectacle final au Théâtre municipal de Tunis, qui est une sorte d’apothéose de tout ce parcours, la musique n’a pas eu d’impact. Cette dernière séquence devait dégager une grande émotion. Or, elle est restée assez austère. Il aurait été intéressant de créer une musique originale ou encore de faire une relecture des extraits sélectionnés.

Une Nouba sans nouba

« Nouba » d’Abdelhamid Bouchnak évoque l’histoire des « mezzaoudias », musiciens issus des quartiers populaires de la médina de Tunis et dont la musique profane est jouée dans les fêtes de mariage et de circoncision. Très appréciée par les différentes classes populaires, elle a trouvé son apogée en 1991 avec le spectacle « Nouba » de Fadhel Jaziri et Samir Agrebi. Le chef de file de cette musique est l’illustre chanteur et compositeur Hédi Habouba.

Bien que le feuilleton ne fasse pas directement allusion au spectacle dont on ne trouve d’ailleurs pas de trace, les premières images le rappellent quand même. Un brasero puis la présence de Lotfi Bouchnak, (père du réalisateur dudit feuilleton) qui avait prêté sa voix puissante au spectacle de Jaziri et Agrebi. Cette entrée en matière ne présage pas la suite puisque la vingtaine d’épisodes n’est illustrée que par des bribes de chansons.

« Nouba » montre la face cachée de la médina ou le revers de la médaille d’une médina carte postale et des personnages haut en couleur  longtemps marginalisés par les pouvoirs publics dans la mesure où ils ne donnent pas une image positive du pays. Abdelhamid Bouchnak, auteur du court métrage « Bonbon » et du long « Dachra », lève le voile sur cette partie de la société restée invisible depuis des décennies. Il faut avouer que le spectacle Nouba a contribué grandement à rendre hommage à ces chanteurs dont certains ont fréquenté les geôles.

La réalisation est enlevée  et les acteurs pétillant dans la peau de leur personnage,  mais les longueurs auraient pu être évitées si le feuilleton avait été limité  à 15 épisodes. Certaines scènes sont lassantes. Quant à la musique signée Hamza Bouchnak, Nessim Ben Rhouma et Rached Hamaoui, elle ne restera sans doute pas dans les annales, car à force de vouloir éviter de reproduire le spectacle et de gommer les chansons, il n’en est resté finalement que des bribes.

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