Fin de tournage de «oranges amères» (Ahl Al Hawa) de Walid Tayaâ : Et l’aventure continue !

Des personnages-métaphores, dans des situations habituelles, dans des décors ordinaires, se confrontent à leur solitude et s’expriment à travers le silence et l’observation. Un homme marié ou deux jeunes lycéens ou un professeur, un jeune peintre de bâtiments ou une étudiante, un vieux pêcheur qui rencontre un ancien amour… Ils vivent tous dans la même ville et sont tous condamnés à une seule et unique loi : le silence. Leurs histoires sont des murmures de rêve solitaire : un théâtre ouvert sur la vie dans le brouhaha et le vacarme de la ville. C’est ainsi que Walid Tayaâ présente son dernier long métrage « Ahl Al Hawa » ou «Oranges amères», dont le tournage a pris fin la semaine dernière. Un second long métrage qui a bien tardé à venir après « Fataria » qui a révélé son univers loufoque, décalé et hautement coloré. Entretien.

Votre film évoque le silence et le non-dit… la solitude dans le groupe, pouvez- vous nous en dire plus et surtout comment êtes-vous arrivé à cette réflexion ?

En effet, il s’agit de silence contraint et imposé parce qu’il n’y a pas d’autres choix. Lorsqu’on est différent et qu’on a choisi un style de vie autre que ce que le groupe a décidé (mariage, croyant, sexualité…), on doit se cacher et vivre dans une hypocrisie suffocante ou tout simplement quitter le pays. Le film parle de ces êtres contraints au silence, des êtres en défaite, des êtres amers. C’est le diktat du groupe qui est insupportable et même atroce parce qu’il nous oblige à jouer une interminable comédie. Nos sociétés n’acceptent pas les hors sentiers, les indexent, les marginalisent, les condamnent et les jugent. Dans nos sociétés, la liberté individuelle n’existe pas, l’Etre en tant que tel n’existe pas (je l’ai bien exprimé dans mon documentaire de création « Journal d’un citoyen ordinaire). Par ailleurs, tout se fait en cachette, mais personne n’a le droit de souiller la carte postale (sujet de mon prochain livre).

Que signifie pour vous la différence… et comment elle s’exprime dans le cinéma que vous faites ?

La différence pour moi est le fondamental même de l’existence humaine. Tout ce diktat officiel et officieux de soumettre l’humain à une convention morale collective est totalement contre nature, nier et anéantir nos différences est un acte fasciste.  L’humanité a progressé parce que les humains sont différents et chacun contribue justement à sa façon à la construction de la civilisation humaine. Ce sont les  gens différents qui ont fait progresser l’Histoire parce qu’ils ont pensé autrement les choses et ont perturbé « l’aquarelle ». J’en parle dans pratiquement tous mes films, de Bahja, Vivre, Prestige, Boulitik, Journal d’un citoyen ordinaire et même Fataria (le personnage de Naziha (Sabah). Dans Ahl Al Hawa, j’affronte totalement ce problème qui se résume en cette phrase : comment se sentir étranger dans son propre pays. Dans Ahl Al Hawa, mon producteur Mehdi Hmili et moi-même prenons des risques extrêmes. Aucune autocensure : je dis les choses clairement sans détour.

Nous connaissons vos essais documentaires, vos courts-métrages et votre premier long Fataria… Ahl El Hawa serait-il dans la même mouvance ou est-ce un voyage nouveau dans votre parcours ?

C’est un nouveau et beau voyage. Ahl Al Hawa est aussi un projet choral, mais très différent de mon premier long-métrage Fataria. D’abord, ce n’est pas une comédie (tout le monde s’attend à une comédie, genre extrêmement méprisé des festivals). Avec Ahl Al Hawa, je fais enfin ce que j’aime, l’épurement, le questionnement de la forme, du jeu, des thèmes, le minimalisme.

C’était un miracle que la commission (2020) lui a octroyé la subvention, je n’y croyais pas beaucoup, vu que le scénario est très particulier qui adopte une démarche poétique et intimiste, mais j’ai eu de la chance parce qu’il est tombé entre les mains de personnes sensibles qui ont su voir le potentiel de ce scénario de film. Dans ce sens, je dois souligner que mon producteur et ami Mehdi Hmili a eu un courage herculéen de produire un film pareil, il est aussi réalisateur et auteur et il a donc compris immédiatement l’univers du scénario.

Votre rapport au théâtre et à la mise en scène a fait de vous un cinéaste à part avec un univers à part … Le théâtre vous inspire-t-il toujours et quels outils vous apporte-t-il ?

Juste pour vous dire que Ahl Al Hawa finit devant le Théâtre municipal (sourire).

J’adore la théâtralité dans la mise en scène. C’est un exercice difficile parce qu’il appelle à une grande maîtrise de l’espace, on ne peut pas tricher et, lors du tournage, l’énergie/tension du plan est extrême, tout apparaît du moindre accessoire, allant jusqu’au costume du personnage, à la moindre lumière.

J’aime ce procédé théâtral parce qu’il me permet de monter dans le plan et de changer les points de vue et d’imposer par exemple un décor ou un personnage. Dans ce sens, deux maîtres m’inspirent : Renoir spécialement avec son film « La règle du jeu » et surtout l’incontestable, le grand cinéaste suédois Roy Andersson et son chef-d’œuvre « Chansons du deuxième étage ». Ses films sont quelques tableaux fixes et figés. Il faut dire, aussi, que je suis assez sceptique pour faire bouger la caméra, surtout lorsque je ne vois aucune utilité. Quant aux nouveaux gadgets grandiloquents, je m’en passe parce que c’est ostentatoire et mensonger.

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