78e anniversaire de la centrale syndicale : Un rôle à sauvegarder en dépit des temps qui changent

 

Le 20 janvier dernier, la centrale syndicale ouvrière tunisienne a soufflé ses 78 bougies dans un contexte assez particulier. C’est que l’Union générale tunisienne du travail n’a plus les coudées franches, selon les analyses de nombreux observateurs. Son rôle de contre-pouvoir serait même remis en cause d’après certains indicateurs qui ne trompent pas. Son secrétaire général, Noureddine Taboubi, ne l’entend pas de cette oreille.

Lors de la commémoration du 71e anniversaire de l’assassinat du leader national et syndical Farhat Hached le 4 décembre dernier, Taboubi n’a fait que confirmer la ferme résolution de l’Ugtt à lutter en faveur des libertés, de la démocratie et à s’ériger contre les inégalités sociales, en dépit de ce qu’il a qualifié de «campagnes de répression ciblant l’organisation syndicale et les tentatives de son asservissement». Un discours auquel on s’est habitué en pareilles circonstances, mais la réalité sur le terrain en est tout autre.

La perception qu’ont les Tunisiens des syndicats n’est plus la même que celle qui prédominait au cours des années passées. L’Ugtt tire sans nul doute sa légitimité et son aura de l’histoire de ses militants de la trempe de Mohamed Ali El Hammi, Farhat Hachad, Ahmed Tlili, Habib Achour et tant d’autres qui ont sacrifié leur vie pour la libération de leur pays et pour la cause syndicale. Cette organisation a été longtemps le symbole du militantisme et de la défense des droits socioéconomiques. 78 ans après sa création, a-t-elle réellement pris de l’âge et dévié de sa noble mission? Si oui, que reproche-t-on aujourd’hui à ce monument national et à ses dirigeants? Sommes-nous en passe d’assister à une crise durable des activités syndicales qui révèlent de profonds changements sociopolitiques?

Dans tous les cas de figure, certains indicateurs confirment que les temps ont changé et que l’organisation syndicale a l’air de perdre du terrain sous l’effet, non seulement des changements sur le plan national, mais aussi de la mondialisation qui a impacté en général l’action syndicale partout dans le monde.

L’Ugtt est-elle une pièce maîtresse dans le dialogue national ?  

En dépit de certaines tentatives de l’enliser  dans les affaires politiques, il faut dire que la centrale syndicale s’est, le plus souvent et publiquement, démarquée des partis politiques et de leurs luttes intestines.

A la demande d’intervention en faveur des «détenus politiques» en Tunisie, Nouredine Taboubi a été bien clair. «L’Ugtt n’interfère pas dans les affaires de la justice, mais appelle à des procès équitables. Ceci n’annule pas pour autant le principe de redevabilité»,a-t-il récemment souligné dans une déclaration médiatique en marge de la célébration de l’anniversaire de la centrale ouvrière. L’Ugtt a toujours assumé son rôle dans les moments les plus délicats comme en témoigne sa contribution, aux côtés de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, de l’Utica, de l’Ordre des avocats, pour sauver le pays et assurer une sortie de la grande crise sans dégâts en 2013. En octobre 2015, ce Quartet obtient le prix Nobel de la paix pour son soutien à la transition démocratique en Tunisie et à la gestion de la crise par le biais du Dialogue national. Depuis, la centrale syndicale n’est plus considérée comme une pièce maîtresse de l’échiquier politique.

Il faudra rappeler que l’Ugtt a refusé, en 2021, de participer au dialogue national autour du projet de la nouvelle constitution sous le format proposé par le Président de la République, sous prétexte qu’il n’a pas fait l’objet de consultations préalables et qu’il pourrait donc aggraver la crise, selon Noureddine Taboubi. La réponse ne tardera pas à venir et la version du dialogue national soutenue par l’Ugtt ne trouvera aucun écho au palais de  Carthage.

Durant l’été de la même année, une autre décision a provoqué l’ire d’une partie des militants de l’Ugtt consistant en l’organisation, en pleine pandémie de Covid-19, d’un congrès extraordinaire non électif, les 8 et 9 juillet 2021, à Sousse pour apporter des amendements au statut de l’Ugtt  et permettre à d’anciens dirigeants de briguer un nouveau mandat ! Les amendements ont été approuvés, mais l’image de la centrale syndicale a été largement écornée, selon plusieurs syndicalistes qui ont crié au «putsch». Une plainte est déposée contre la tenue de ce congrès, mais la centrale syndicale a eu, en octobre 2023,  gain de cause. L’affaire est-elle bouclée? Pas pour autant. La crédibilité de l’Ugtt a été négativement impactée. Ce congrès n’aurait jamais dû avoir lieu, souligne une partie des syndicalistes.

Le difficile exercice d’équilibriste

Soufflant le chaud et le froid, l’Ugtt semble des fois s’adonner à un jeu d’équilibriste entre ceux qui la poussent à agir et dénoncer certains événements et ceux qui appellent à la prudence. Le silence face aux conjonctures sociopolitiques difficiles du pays ont révolté une frange des syndicalistes. En février 2023, la centrale syndicale a eu recours à la confédération syndicale européenne pour la soutenir, mais très vite, sa représentante, Esther Lynch, est expulsée du pays.

La raison invoquée par les autorités : pas d’ingérence dans les affaires internes du pays, c’est une question de souveraineté nationale. La gaffe de trop, pour certains observateurs, qui ne fait que confirmer les hésitations de l’équipe dirigeante.

Ce samedi 20 janvier et à l’occasion de la célébration du 78e anniversaire de la centrale ouvrière, Taboubi a reformulé les mêmes demandes relatives à la suppression du décret 54, pointant  les poursuites en justice de certains syndicalistes. Il a encore une fois mis en avant sa lutte pour soutenir les entreprises publiques, préserver l’indépendance de l’Ugtt. Mais il semble que la voix des dirigeants de la centrale syndicale soit de moins en moins audible. Les temps ont vraiment changé. Or, certains dirigeants syndicaux sont toujours là, refusant de voir les profondes mutations socioéconomiques qui s’opèrent autour d’eux.

L’Ugtt a joué un rôle prépondérant et historique dans l’Histoire du mouvement national, la défense des droits des travailleurs, il incombe plus que jamais à son équipe dirigeante d’assumer davantage son rôle de rassembleur à un moment où la Tunisie passe par une période marquée par des difficultés économiques qui nécessitent l’union de toutes les forces vives du pays. Union ne signifie nullement assimilation.

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