Commission pénale : La réconciliation, quand tout le mode est gagnant

 

Après l’activation du plan national de réconciliation pénale en vue de la restitution des biens spoliés, force est de constater que ceux qui sont concernés ne perdraient rien à répondre à l’appel de la nation.

Ça y est, le starter a retenti,  annonçant officiellement l’entrée en lice de la Commission nationale de réconciliation pénale, après que le reste de ses nouveaux membres ont récemment prêté serment. Apparemment, l’équipe a fière allure avec comme président un des poids lourds de la magistrature tunisienne, qui sera flanqué d’experts en la matière, dont la compétence et l’intégrité sont établies.

Et c’est de bon augure, compte tenu de l’extrême importance de la tâche qui leur est dévolue, à savoir l’objectif (autant dire le défi) de récupérer des milliers de milliards de nos millimes transférés illégalement à l’étranger dans la spirale du blanchiment d’argent qui a soufflé sur le pays depuis les années 90.

Un premier casse-tête déjà : combien de milliards en dinars tunisiens se sont évaporés des caisses de l’Etat ? 35, 25, 19? Effectivement, que de chiffres parfois fantaisistes ont été jusque-là avancés sur la valeur réelle du pactole, mais il est certain que personne, alors là personne, ne sait exactement combien et qui tirent les ficelles. Premièrement, parce qu’il est communément admis de par le monde qu’un pro du blanchiment d’argent, en connaisseur averti, ne garde jamais son butin «at home», mais il s’empresse de le transférer, via le modus operandi qu’on connaît, vers des lieux sûrs et hermétiquement protégés que sont les paradis fiscaux.

Deuxièmement, il serait stupide de croire que tous ceux qui ont volé le pays depuis les régimes de Bourguiba et Ben Ali à nos jours sont facilement traçables ou recensables. C’est comme dans les affaires de corruption, de terrorisme, de drogue et de contrebande où on peut arrêter les suspects, sans pour autant parvenir à mettre la main sur tous les membres de la bande.

D’ailleurs, beaucoup de gros bonnets du blanchiment d’argent qui ont fui le pays au lendemain de la révolution courent toujours, bien que certains de leurs fidèles lieutenants aient été arrêtés, alors qu’ils s’apprêtaient à prendre la poudre d’escampette. 

Que faire pour les rapatrier ?

Il va sans dire que ces fugitifs de luxe se la coulent douce aujourd’hui dans leur retraite dorée des paradis fiscaux, éparpillés dans les cinq continents. Assis sur des fortunes inestimables qu’ils ont construites ici, selon les révélations d’enquêtes policières et judiciaires. Ces escros milliardaires en dollars se résoudront-ils, un jour, à se montrer fair-play et à rentrer au bercail pour aller donc affronter courageusement leur sort ? Cela les tente-t-il vraiment ? Sinon, qui les en empêche ? Craignent-ils un malencontreux renversement de situation qui les condamnerait à finir leurs jours dans l’auberge de la Mornaguia ?

Et pourtant, au regard des derniers développements sur la scène nationale, il y a cette offre alléchante présentée par l’Etat et qui, franchement, n’est pas à voir d’un mauvais œil, à savoir le régime de la réconciliation pénale.

Concocté depuis le 20 mars 2022, celui-ci est désormais opérationnel, suite à sa récente adoption par l’ARP et à l’achèvement de la mise en place de ladite commission de réconciliation. N’est-ce pas là une volonté d’ouverture et d’apaisement qui pourrait arranger l’affaire des deux parties en conflit ? «C’est de bonne guerre» soutient le juriste Hafedh Selmi qui affirme ne pas mettre en doute la bonne foi du pouvoir qui, dit-il, a, par les temps qui courent, besoin davantage de ressources financières que de gens à mettre en prison. Pour sa part, Moez Joudi, docteur en sciences de gestion et président de l’Institut tunisien des administrateurs (ITA), a exprimé, dans une déclaration donnée récemment à une radio locale, son soutien au processus de réconciliation, à condition, a-t-il insisté, qu’il soit géré intelligemment et sur des bases solides, et surtout sans précipitation.

14 sur 440… maigre butin !

Aujourd’hui place à l’action, on peut dire adieu, sans regret, à ces longs mois de tergiversations qui ont émaillé la gestion du dossier de récupération des biens spoliés.

Tenez, cet exemple : le 8 janvier 2023, le président de la Commission nationale de la réconciliation, Makrem Ben Mna, a déclaré que «la Tunisie pourrait, d’après les dires des avocats des suspects, récupérer 13 milliards de dinars en six mois.» Hélas, une année plus tard, jour pour jour, «seules 14 des 440  personnes poursuivies répertoriées ont versé le petit montant de seulement 26,9 millions de dinars !», précise Yasser Gourari, président de la commission de la législation de l’ARP.

Cela sans compter la lenteur du traitement des dossiers où sont impliqués de grands noms de politiques et d’hommes d’affaires arrêtés et qui ont, pourtant, manifesté du fond de leur geôle leur disposition à trouver un compromis avec l’Etat. Bref, autant d’errements et de dysfonctionnements qui n’aidaient pas à accélérer les choses.

Désormais, et après l’assouplissement des procédures de remboursement des montants dus, il semblerait que la machine rouillée jusque-là redémarre. Une mesure crânement défendue par les députés lors de la dernière séance des travaux d’examen de ce projet.

Le hic est que des candidats à la réconciliation pénale souhaitent sortir de prison pour pouvoir, selon leurs vœux, accélérer plus efficacement les formalités de régularisation de leur situation. Accédera-t-on, à titre exceptionnel, à cette demande au nom de l’intérêt supérieur du pays ?

Il faut être un bon joueur

Entre-temps, que n’a-t-on pas fait pour donner plus d’énergie à la lutte contre le blanchiment d’argent. En effet, la Tunisie continue d’appliquer scrupuleusement la norme internationale dite « AML 30000» instituée par l’ONU et destinée à appuyer matériellement les efforts de gestion du dossier du blanchiment des fonds illégaux, tout en poursuivant ses démarches entamées depuis  2013 avec les pays qui abritent les suspects tunisiens et leurs fortunes.

Dans la foulée, et pour la même cause, le ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, a été reçu le 29 février dernier au Quai d’Orsay par son homologue français pour une séance de travail qui a, entre autres sujets débattus, évoqué la restitution des biens spoliés.

Reste à espérer que ceux qui sont intéressés par la formule équitable de la réconciliation ne devront pas tarder pour passaer réellement à la caisse en bons joueurs. Tant de personnalités politiques, de célébrités mondiales et d’hommes d’affaires de renom le font déjà un peu partout dans le monde et ils ne l’ont pas regretté. C’est aussi le cas chez nous comme Slim Chiboub qui jouit aujourd’hui des délices de la liberté, après avoir coupé court à son exil douillet à Dubaï et regagné la Tunisie où il a pu régulariser ses dossiers d’inculpation vis-à-vis de la justice.

Laisser un commentaire