Les moteurs de la croissance en panne : La crise politique pointée du doigt


Pour Houssine Dimassi, la crise politique est mère de tous les maux. Etant un lanceur d’alerte dès les premières heures de la crise économique qui a surgi peu après 2011, l’ancien ministre des finances met en garde contre cet aveuglement dans lequel persistent les partis politiques. La situation économique est désormais très critique. Les changements ne doivent plus tarder. Retour sur une année difficile et des perspectives peu optimistes avec l’ancien ministre des finances.


S’agissant de l’endettement extérieur qui a fait couler beaucoup d’encre et qui a valu au gouvernement de s’attirer les foudres des experts et des opposants, notre interlocuteur a fait savoir que l’emprunt extérieur a atteint un taux effrayant, dû essentiellement au cumul des déficits budgétaires en progression depuis 10 ans.

La charge de la dette extérieure dépassera pour la première fois en 2020 les recettes de l’emprunt extérieur
Selon Dimassi, la mauvaise nouvelle c’est que cette descente aux enfers est difficile à arrêter, étant donné que la structure du budget a connu, depuis 10 ans, un tournant « dangereux ». Il impute cette situation qui empire d’une année à l’autre aux gouvernements qui se sont succédé depuis 2011 et dont le choix d’opter vers l’accroissement non raisonné des dépenses budgétaires, sans prendre en compte la réduction des recettes, a engendré un déséquilibre budgétaire fort où le recouvrement des dépenses est quasi impossible.

L’endettement étant la seule solution à laquelle recourt l’exécutif. « Il est difficile de limiter la grande part des dépenses budgétaires. Au mieux des cas, on peut geler les salaires pendant 2 ou 3 ans, mais il n’est point envisageable de réduire les salaires. Depuis trois ans, nous avons enregistré une augmentation très importante des dépenses dédiées au remboursement des dettes qui ont atteint des niveaux très élevés sans précédent. En 2020, la charge de la dette extérieure dépassera les recettes provenant de l’emprunt. Un fait inédit, dans l’histoire de la Tunisie post indépendance », s’est alarmé Houssine Dimassi.

Il a expliqué, à ce titre, que la charge record de la dette extérieure constitue, désormais, un véritable danger qui plane sur la Tunisie. L’Etat est acculé, dans ce cas, à réduire d’autres dépenses vitales.
Il s’agit pratiquement d’une impasse économique, selon l’ancien ministre des finances, étant donné que, d’un côté, il est impossible de diminuer les salaires ou de réduire considérablement les subventions, et de l’autre côté, il n’est guère envisageable de s’affranchir de la charge de la dette extérieure. « La situation est extrêmement grave. Le gouvernement le plus compétent et le plus intègre ne peut pas gérer les finances publiques et l’économie, de la manière avec laquelle elles ont été jusque-là conduites.
Les atermoiements dans le lancement des réformes ainsi que dans la transformation de la structure budgétaire, que nous avons observés depuis 2011, pour des raisons électorales et des calculs politiques, ont mené l’économie à un point de non-retour. Une situation ingérable. «A mon sens et d’après ce que j’ai constaté sur l’évolution de la scène politique, le futur gouvernement ne peut pas résoudre d’un iota les problèmes des finances publiques», a-t-il souligné.

Légère hausse des exportations dans certains secteurs mais pas suffisante
Au volet du commerce extérieur, notamment l’évolution des exportations qui a connu, cette année, une certaine stagnation, notamment dans les secteurs industriels phares de l’export, Dimassi a expliqué que cette situation est due en premier lieu à la chute de la croissance enregistrée dans les économies leaders de l’Union européenne, premier marché d’exportation de la Tunisie. Il a fait savoir, dans ce sens, que l’Allemagne, la France et l’Italie connaissent un ralentissement de la croissance économique qui, à son tour, a engendré une baisse de leurs demandes respectives, et, par voie de conséquence, des exportations tunisiennes. Mais ce qui serait encore plus inquiétant selon notre interlocuteur, c’est que la Tunisie ne cesse de perdre sa compétitivité, et donc n’attire plus les investisseurs étrangers qui s’installaient souvent en offshore.

Recul de l’investissement
Ce qui nous amène à parler d’un des moteurs phares de l’économie, à savoir l’investissement. Houssine Dimassi a expliqué, à ce titre, que la stagnation de l’investissement tant pour le type étranger que pour le national puise son origine dans deux facteurs. Le premier consiste en la forte augmentation du coût de la production, un élément que rebutent les investisseurs étrangers qui n’hésitent pas alors de s’installer ailleurs sur des sites moins coûteux et plus attractifs. Le deuxième élément c’est l’instabilité politique, explique Houssine Dimassi.

Sur un ton sec, l’ancien ministre des finances n’est pas allé par quatre chemins pour mettre en garde contre les répercussions de la crise politique. Dans ce contexte, il a expliqué que le paysage politique au sein du parlement « n’augure rien de bon » et les gouvernements qui seront formés et approuvés par l’ARP, seront forcément des gouvernements, hétéroclites et, par voie de conséquence, incapables d’entreprendre la moindre réforme ou de pouvoir suivre une stratégie claire et définie. « Je suis convaincu que l’instabilité gouvernementale affectera l’image de la Tunisie à l’étranger en matière d’investissements ».

Ce constat a été également tiré pour les champions de l’industrie tunisienne dont le comportement d’investissement est, selon l’expert, naturellement similaire à celui des étrangers. « Si ces mêmes facteurs qui nuisent à la réputation de la Tunisie en tant que site d’investissement perdurent, les investisseurs tunisiens ne vont plus investir en Tunisie. Une grande part d’entre eux sont en train de transférer leurs capitaux vers des pays étrangers », souligne-t-il.
Et d’ajouter que la compétitivité du site Tunisie est en déperdition continue depuis 2011, et même avant. Et pour cause : une perpétuelle baisse de la productivité, contre un saut enregistré au niveau du coût de la production dû à son tour aux bondissements successifs des coûts de la matière première, notamment de l’énergie et des salaires.

Le spectre d’une récession 
Quant aux prévisions de la croissance, Dimassi a affirmé que la croissance frôlerait à peine les 1% dans la période à venir. Un taux extrêmement faible qui s’explique par le chevauchement des facteurs naturel et géostratégique. Le secteur agricole étant tributaire du premier, tandis que le tourisme est étroitement lié au deuxième. Les secteurs productifs et compétitifs, où le coût de la production peut être contrôlé, sont en forte régression, soutient-on.

Notre interviewé a expliqué que les trois moteurs de l’économie sont pratiquement en panne, à savoir des exportations en baisse, un investissement « en berne » depuis une longue durée et enfin une demande intérieure, pareillement en baisse à cause de l’explosion de l’inflation.
Pour Houssine Dimassi, la résolution de tous ces problèmes économiques passe impérativement par une décrispation de la crise politique qui est « mère de tous les maux ». A ce sujet, il s’est indigné « Tant que la loi électorale ainsi que certains articles de la constitution ne se sont pas toujours amendées, la situation va empirer.

La crise va s’aggraver. A mon sens, le problème est avant tout un problème politique. Ces deux blocages constituent l’alpha et l’omega de nos problèmes depuis 10 ans. Les partis politiques n’ont pas pris conscience de la gravité de la situation. Evidemment, ils ne représentent que des minorités effritées, c’est pourquoi la présente loi électorale est en leur faveur. Les résultats des élections 2019 en sont la parfaite illustration. Si cet état des lieux perdurait, nous verrions des mouvements sociaux qui exploseront partout et… chaque jour».

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