Par Mohamed Larbi SNOUSSI

Pour beaucoup de Tunisiens, le 7 novembre représente maintenant, dans leur quotidien et leur imaginaire, le jour où fut mis fin, par un coup d’Etat médical, à une dictature éclairée de trois décennies d’un « combattant solitaire », pour instaurer une autre beaucoup plus clanique et familiale, ayant, au fil des années, balisé, inconsciemment, le chemin aux intégristes de « l’islam politique » pour mettre la main sur le pays avec la connivence, au nom de « l’hommisme », d’une « gauche infantile » et une « légitimité électorale » falsifiée (falsifications reconnues pour 2011 et 2014 par Jendoubi et Bousarsar et pour 2019 Baffoune n’a donné aucune explication à l’incendie ayant brûlé les registres électoraux).

Le 7 novembre est autre que celui de 1987. C’est aussi la journée héroïque de 1911, 1963 et pour des considérations personnelles celle de 1982.

Commençons par les 7 novembre 1963 et 1982, car ils ont un tant soit peu un trait commun. En effet, le 7 novembre 1963 est la journée au cours de laquelle le « Combattant solitaire », le défunt Habib Bourguiba, prononça son magistral discours sur le théâtre et l’importance du quatrième art dans la vie des peuples, le développement culturel et la constitution des fondements de la personnalité nationale, et non un simple passe-temps, comme l’entendent certains. Il avait même raconté, en cette occasion, comment était-il épris par cet art et surtout par la talentueuse et patriote Habiba M’sika. Depuis, cette journée fut instituée comme « journée du théâtre », pour devenir dans les années 1970-2010, « semaine du théâtre arabo-africain », avec des prix pour les meilleures productions. Mais depuis 2011, on a tendance, à cause d’une certaine amalgame dans les esprits, à oublier cette « semaine », voire à l’effacer des mémoires.

Pour 1982, il s’agit, quoique c’est personnel, de l’interdiction de la représentation de ma pièce théâtrale « Sabra et Chatila » par l’ancien ministre de la Culture, Béchir Ben Slama, pour des raisons inconnues et inexplicables. En effet, comment fut cette interdiction.

Au début du siège de Beyrouth fin juin-début juillet 1982, pourtant prévisible depuis janvier de la même année (voir notre article du 12 janvier 1982), mon ami Ezzeddine Madani, alors chef de service de la culture à la municipalité de Tunis, me contacta pour me demander s’il y a moyen d’écrire une opérette sur la question palestinienne pour la Troupe municipale de Tunis, qui sera mise en scène par Béchir Drissi. Après une discussion avec ce dernier, et ayant en ce moment-là entre les mains la pièce d’Eschyle « Les Perses », j’ai opté de présenter la question palestinienne du point de vue des sionistes et leurs prétentions, Likoud ou travaillistes confondus, de réaliser le Grand Israël du Nil à l’Euphrate, en mettant en scène Bégin et consorts, qui préconisaient de bombarder n’importe quel endroit où se trouvent les Palestiniens (événement prémonitoire de Hammam Ech-Chott). Le rôle de Bégin fut incarné par le défunt Chérif Laâbidi, qu’il avait considéré comme le rôle de sa vie. La pièce fut fin prête début octobre 1982. Moncef Charfeddine, alors directeur du théâtre au ministère de la Culture, avait prévu de commanditer 200 représentations dans les différents établissements scolaires du pays.  La première fut prévue pour le 7 novembre à l’occasion de la semaine du théâtre. Mais début novembre, l’interdiction sans raison fut annoncée aussi bien à la troupe qu’à Ezzeddine Madani en personne, comme directeur de la culture à la municipalité. En réaction, ce dernier publia, sur deux semaines, le texte de la pièce sur les colonnes du supplément littéraire du journal « El-‘Amal ». Dans une audience avec le ministre Béchir Ben Slama, lui demandant des explications, il m’avait dit qu’il prévoyait des manifestations des Tunisiens et des réactions malveillantes des ambassades américaine et occidentales. Pure imagination maladive. Bien plus, il a même refusé d’organiser une représentation privée à laquelle il convierait personnellement qui il veut. Mais rien ne fut.

Mais le 7 novembre le plus important fut celui de 1911, autrement dit l’affaire du Jellaz. C’était le premier grand soulèvement tunisien, au moment du conflit italo-libyen, qui fut sauvagement réprimé par le régime colonial. Le déroulement des événements et les attendus du procès qui s’en était suivi ont été réunis par M’hammed Marzouki et Jilani Belhaj Yahia (1961), ainsi que la magistrale étude de notre ami et collègue Taoufik Ayadi, dans sa thèse sur le mouvement des Jeunes Tunisiens. Par ailleurs, pour la première fois dans l’histoire du pays, les autorités coloniales avaient apporté de France une guillotine, pour exécuter à Bab Saadoune le 26 octobre 1912 Chedly El-Guettari et Manoubi Jarjari. Cette guillotine existe encore  dans un entrepôt de l’ancienne Bibliothèque nationale d’El-Attarine. On ferait mieux de la transférer au musée du Bardo et l’exposer au public.

D’autre part, et toujours dans le cadre de l’affaire du Jellaz, j’ai proposé en mars 2011, au cours d’un colloque à Beit El-Hikma, à mon professeur en calligraphie et à l’époque ministre de la Culture, M. Ezzeddine Bachaouch, et ce en présence de mon ami Laroussi Mizouri, alors ministre des Affaires religieuses, et du défunt Mohamed Sayah, d’organiser pour les 7 et 8 novembre 2011 un colloque pour commémorer le centenaire des événements du Jellaz. Il s’est emballé et a trouvé l’idée  intéressante et m’a demandé de préparer un projet et de le contacter illico presto pour mettre au point un programme pour ce centenaire. Trois jours après, malgré mes demandes d’audience, aucune réponse. M. le ministre était trop occupé par ses interventions dans les différents plateaux de télévision, ratant ainsi, en tant qu’historien aussi, de se réconcilier avec l’histoire.

Voilà en gros ce que fut le 7 novembre dans notre histoire.

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