Pour Bénéficier de leurs droits économiques et sociaux : Les travailleurs migrants disposent désormais de leur carte syndicale

Considérée pendant des décennies comme un pays exportateur de main-d’œuvre, la Tunisie d’aujourd’hui est un pays d’immigration de travail par excellence. Mais avec un cadre législatif limitant drastiquement l’emploi des travailleurs migrants, leurs conditions de vie, économiques, sociales, juridiques mais aussi physiques et psychologiques deviennent de plus en plus pénibles, voire insupportables pendant ces derniers mois à cause notamment de la crise sanitaire liée au coronavirus. Face à cette situation, l’Ugtt veille, aujourd’hui, à ce que les droits économiques et sociaux de tous les travailleurs migrants soient protégés et sécurisés.

Depuis 2016, l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt) et l’Organisation internationale du travail (OIT) ont mis la main dans la main pour la mise en place des mécanismes nécessaires afin de modifier le Code du travail et la loi sur les droits de séjour des étrangers en Tunisie pour assurer et garantir la protection des droits des travailleurs migrants dans notre pays. Ce travail semble, aujourd’hui, porter ses fruits avec deux bonnes nouvelles : l’inauguration de quatre «Espaces-Migrants» et la syndicalisation des travailleurs migrants en Tunisie.

Rapprochement de l’Ugtt et des travailleurs migrants

La centrale syndicale a, récemment, mis en place quatre « Espaces-Migrants» dans quatre régions qui ont été parmi les plus touchées par le phénomène de l’immigration, à savoir le Grand-Tunis, Sousse, Sfax et Medenine, envoyant ainsi un signal fort de son engagement pour la protection des droits des travailleurs migrants étrangers en Tunisie.

En effet, selon Radhi Ben Hassine, coordinateur des Espaces-Migrants de l’Ugtt, le choix de ces régions n’est pas fortuit, étant donné la grande concentration des travailleurs migrants dans ces régions. Grâce à ces espaces, les migrants étrangers auront un vis-à-vis à leur portée pour leur garantir un recrutement équitable et leur fournir un accès à l’information (législation régissant les relations employeurs/employés, information sur les services de base…). Ces espaces offriront, également, aux travailleurs migrants, quels que soient leurs statuts, l’accès à des formations spécifiques (éducation financière, mécanismes de protection en cas d’abus…) et à des services concrets (conciliation en cas de conflits de travail).

Une première en Afrique et dans le monde arabe…

Au lendemain de la Révolution, la Tunisie a connu une grande vague d’arrivées de migrants et de travailleurs étrangers, notamment ceux provenant d’Afrique-Subsaharienne. Mais le pays n’était pas du tout préparé à recevoir ce grand nombre. Du coup, aujourd’hui, plus de 90% des travailleurs étrangers en Tunisie se trouvent dans une situation irrégulière et dans des conditions de vie extrêmement précaires avec notamment un cadre juridique dépassé, voire obsolète, et un Code du travail tunisien n’autorisant pas les travailleurs étrangers à exercer un métier en Tunisie…

«C’est un parcours du combattant pour un travailleur migrant d’avoir un contrat en bonne et due forme en Tunisie. Pour ce faire, l’Ugtt a mis en place un projet qui vise —sur le moyen ou le long terme— à réviser et harmoniser les lois et réglementations tunisiennes avec les normes internationales pertinentes…

En effet, dans tous les pays du monde, les syndicats doivent défendre tous les travailleurs, quelles que soient leur origine, leur couleur de peau ou leur nationalité. Ainsi, nous ne pouvons pas continuer avec des lois qui datent des années 1960 (la loi n°1968-0007 du 8 mars 1968 relative à la condition des étrangers en Tunisie et le décret n° 68-198 du 22 juin 1968, règlementant l’entrée et le séjour des étrangers en Tunisie). Ce flou et ce blocage juridique sont une épée de Damoclès sur la tête des travailleurs migrants qui sont au cœur d’une bataille décisive pour réaliser l’égalité et l’équité, pour qu’ils puissent tous bénéficier des droits humains fondamentaux», explique Ben Hassine.

Pour mettre fin à ces pratiques, l’Ugtt a mis en place une initiative, qui est une première, non seulement en Afrique du Nord, mais sur tout le continent et pour tous les pays du monde arabe. Désormais, tout travailleur étranger peut adhérer à la principale centrale syndicale du pays, ce qui lui donne la possibilité de se protéger et de se syndiquer.

«Pour défendre les droits économiques et sociaux des travailleurs étrangers, l’Ugtt a pris la décision de les syndiquer, ce qui pourrait leur offrir une certaine visibilité et un nouveau statut capable d’ouvrir la fenêtre sur d’autres possibilités. L’objectif de cette initiative est de les amener à l’Ugtt pour qu’ils puissent s’exprimer et défendre leur intérêt sous le parapluie d’une grande organisation, capable de les protéger des différentes et diverses pressions. Avec cette initiative, on vise, également, à les organiser dans des coordinations syndicales qui seront totalement composées de travailleurs migrants», souligne le syndicaliste.

Il ajoute que les objectifs de cette initiative visent, également, à modifier, sur le moyen ou court terme, le code du travail pour qu’il puisse permettre aux étrangers de travailler en Tunisie, mais aussi de revoir la loi sur les droits de séjour des étrangers pour que les travailleurs migrants puissent séjourner normalement, dans la dignité et parmi nous. Tout cela dans un objectif d’avoir un marché international de l’emploi en engageant des travailleurs étrangers dans des secteurs où il manque de la main-d’œuvre comme c’est le cas de l’agriculture, du bâtiment, des services domestiques… et d’autres.

«Il faut s’adapter et accepter cette nouvelle réalité ; pendant ces dernières années, la Tunisie connaît une inversion de son bilan migratoire. Elle se transforme d’un pays exportateur de main-d’œuvre à un autre importateur de plus en plus en grand nombre. Les travailleurs migrants se sont mariés dans notre pays, ils ont des enfants, leurs enfants sont scolarisés dans certaines de nos écoles… Donc, il existe un réel besoin de main-d’œuvre non qualifiée dans des secteurs stratégiques. D’où l’obligation de préparer le terrain à cette fin… La décision de syndiquer les travailleurs étrangers est une avancée majeure mais ce n’est qu’un premier pas. Car la prochaine étape sera de constituer des syndicats de travailleurs migrants au sein de l’Ugtt», affirme Ben Hassine.

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