D’une année à l’autre, la situation économique de la Tunisie empire. Les analystes économiques déplorent le fait que le pays est en train de rater son plan de sauvetage économique et sa relance. Ils estiment qu’aujourd’hui, le gouvernement en place ne fait aucun effort pour l’adoption d’un plan de sauvetage économique clair et digne de la période de l’après-pandémie du coronavirus. Cette politique de stagnation fait rater à la Tunisie l’opportunité d’une relance économique précieuse.

Avec un contexte politique déjà compliqué, tous les voyants sont au rouge ; endettement, chômage, baisse des exportations et des investissements… La pandémie du Covid-19 n’a fait que souligner les carences du système, et les dernières statistiques de l’Institut national de la statistique sont là pour les confirmer. Le Produit intérieur brut (PIB) a reculé de 6,1% en glissement annuel, au quatrième trimestre 2020 par rapport à celui de 2019. L’économie tunisienne a enregistré, au cours de l’ensemble de l’année 2020, une baisse, sans précédent, de 8,8% par rapport à l’année 2019. Pour ce qui est de la production industrielle, au cours du mois de décembre 2020, la baisse est estimée de 6,3%. Cela est principalement dû à la baisse enregistrée dans le secteur de l’industrie agroalimentaire (-17,0%) suite à la baisse enregistrée dans la production d’huile d’olive, de même la production industrielle a enregistré une baisse dans le secteur de l’industrie chimique (-31,8%), le secteur des mines (-50,9%) et le secteur du raffinage du pétrole (-59,6%). Toujours d’après les statistiques de l’INS, au quatrième trimestre 2020, le nombre des occupés s’établit à 3.433,4 mille contre une moyenne de 3.511,6 mille au troisième trimestre de 2020, soit une diminution de 78,3 mille. Cette population se répartit en 2.524,9 mille hommes et 908,4 mille femmes. Le nombre de chômeurs estimé pour le quatrième trimestre 2020 s’établit à 725,1 mille du total de la population active, contre une moyenne de 676,6 mille chômeurs pour le troisième trimestre 2020. Le taux de chômage augmente au quatrième trimestre pour atteindre 17,4%, contre 16,2% au cours du trimestre précédent. La récession est bien là, l’inflation devrait continuer à tourner autour de 5%. La baisse des exportations, de 15%, et des investissements internationaux, de 26%, seront difficiles à juguler, d’après plusieurs analystes.

Malaise social

La précarité s’accentue face à la cherté de la vie et aux difficultés croissantes d’accéder à l’emploi. En 2020, près d’un demi-million de personnes risqueraient de basculer en dessous du seuil de la pauvreté selon une simulation de l’impact du Covid-19 sur l’économie tunisienne, publiée par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) en Tunisie en juin 2020.

«Le climat social s’est tendu avec la multiplication des actes de désespoir (suicides, migration clandestine, ralliements à des groupes religieux, extrémistes radicaux, etc.), les mouvements de protestation et les blocages de sites de production, etc. avec un impact négatif certain sur l’activité économique et les ressources de l’Etat. Une enquête conduite par le Pnud Tunisie en 2019-2020 sur la cohésion sociale dans le gouvernorat de Médenine permet de mettre en exergue la fragilisation du sentiment d’appartenance à la Nation du fait de la confiance très faible dans les institutions publiques, confiance entamée par les perceptions de corruption et les rapports encore souvent très conflictuels avec les agents de l’Etat», déclare Steve Utterwulghe, représentant résident du Pnud en Tunisie.

Le problème essentiel réside, d’après Utterwulghe, dans «le profond malaise social, la désillusion et la perte de confiance entre les citoyens, notamment les jeunes parmi eux, et l’Etat». Cela entraîne «un dialogue de sourds».

L’Etat tunisien est dans une situation de faiblesse extrême. Il doit faire face à toutes ces difficultés avec des moyens extrêmement limités. La plus importante raison reste la crise des finances publiques qui, non seulement, persiste, mais s’aggrave depuis plusieurs années.

D’après les économistes nationaux et internationaux, «l’ampleur du déficit budgétaire, la taille des dépenses de fonctionnement par rapport au budget total et l’endettement public frôlant la barre des 90% du PIB à fin 2020 réduisent considérablement les marges de manœuvre de l’Etat et sa capacité à appliquer sereinement une politique sociale à même de soutenir les populations les plus vulnérables et une politique d’investissement susceptible d’apporter la dynamique attendue, notamment dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’environnement».

La Banque mondiale, l’un des principaux créanciers, reproche l’absence de stratégie claire pour remédier aux profondes difficultés économiques et financières du pays, confronté à un déficit budgétaire d’une ampleur sans précédent. Pour stopper l’hémorragie, l’institution financière internationale exige la restructuration des finances publiques en limitant la masse salariale et en déplaçant l’aide sociale des subventions vers des transferts plus ciblés. En effet, le climat d’incertitude, qui règne en Tunisie, plonge les entreprises tunisiennes dans l’inconnu. Ces dernières, moins innovantes et moins orientées vers l’exportation, investissent moins selon un rapport de la Banque mondiale. L’institution recommande des réformes structurelles urgentes.

Garder espoir

Malgré ces analyses mitigées et alarmistes, il est important de garder espoir car les réponses existent et le potentiel aussi. La première des choses à faire est de se tourner vers la jeunesse. Il est essentiel de donner, à cette catégorie, une égalité des opportunités pour créer et innover, et ce, sur tout le territoire. Il faut leur donner la possibilité de décoller.

Il est à rappeler que, ces dernières années, plusieurs initiatives législatives innovantes ont vu le jour, comme le «Startup Act», la loi sur l’économie sociale et solidaire, la loi sur le crowdfunding ou encore la création du statut d’auto-entrepreneur. Toutes ces initiatives convergent vers la promotion de l’emploi décent, de l’entrepreneuriat, de l’inclusion et de la solidarité. Il s’agit, pour plusieurs analystes et financiers, d’ingrédients capables de bâtir un nouveau modèle de développement socioéconomique durable, centré sur l’humain et l’inclusion de ce dernier dans son environnement socioéconomique et environnemental. Un modèle basé sur l’audace et le courage pour parvenir à réduire les vulnérabilités et la pauvreté, déjà présentes avant 2011 et accentuées par la crise du Covid-19.

Il est important de pouvoir favoriser l’émergence d’une nouvelle forme d’entrepreneuriat, plus inclusive, plus solidaire et plus respectueuse de l’environnement. Il faut également développer de nouveaux outils de financement susceptibles d’encourager le secteur privé à investir. L’Etat, le secteur privé et le citoyen sont tous les acteurs de ce changement. La politique de sortie de crise reste tributaire de la stabilité politique et de la volonté de nos hommes politiques à axer leurs efforts sur les dossiers économiques. Il faut aussi une conscience collective, notamment de la part de l’Ugtt et de la société civile, quant à la gravité de la conjoncture économique actuelle.

Le gouvernement et le Parlement devront se mettre d’accord sur le plan de relance économique afin d’accélérer son adoption et permettre la concrétisation de ses priorités. L’adoption de la loi de la relance économique est une nécessité dans la mesure où elle va contribuer à réduire les risques d’une éventuelle révolution sociale, car elle permettra de remédier l’érosion du pouvoir d’achat des citoyens et apportera un minimum de soutien aux catégories les plus démunies.

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