Fethi Nouri, professeur et économiste: «La dégradation du secteur énergétique est due à une mauvaise gestion»

Selon l’économiste de l’énergie, Fethi Nouri, réformer le système de subvention de l’énergie, via une approche économique qui cible l’efficacité du modèle économique et vise à atteindre la sobriété énergétique, est la solution idoine pour insuffler un nouveau souffle à un modèle qui a perdu son efficacité. Appliquer la vérité des prix, avec une intervention au profit des couches les plus vulnérables, est le meilleur moyen de maîtriser au mieux la consommation énergétique.

Intervenant lors d’un séminaire scientifique, organisé récemment par le Centre d’études stratégiques sur le Maghreb (Cesm), sur le thème «La problématique énergétique en Tunisie : état des lieux et crise des politiques publiques », le professeur Fethi Nouri n’y est pas allé par quatre chemins pour dépeindre la situation du secteur de l’énergie. Axant son intervention sur le système de subvention des hydrocarbures, l’économiste spécialiste en énergie a abordé cette question épineuse sous un angle différent à travers une approche économique. Déplorant l’appauvrissement du débat autour de l’énergie, il estime qu’il est réducteur de le limiter à la seule problématique de la réforme du système de subvention. Toutefois, il s’agit bien d’un secteur qui se caractérise par la succession des crises.

Un secteur qui grève le budget de l’Etat

D’ailleurs, deux crises majeures ont marqué l’histoire du secteur et ont fortement impacté l’économie mondiale et rebattu les cartes : la crise de 1973 et celle de 2022. A en croire l’économiste, la gestion du secteur est un exercice de funambule. Il en veut pour preuve l’échec de la politique européenne en la matière, et ce, malgré le déploiement de diverses stratégies visant à renforcer  l’indépendance énergétique des pays européens. La déroute  de cette Europe, qui se trouve entre l’enclume des pays pétroliers et les producteurs de gaz, est, selon lui, la parfaite illustration de la difficulté à gérer ce secteur. Dressant un état des lieux de l’énergie, le Pr Nouri a affirmé que la dégradation du secteur est due à une mauvaise gestion qui résulte d’une politique mal intentionnée. « Les économistes de l’énergie ont été écartés du secteur », a-t-il regretté.  Le secteur de l’énergie, qui contribuait avant 2011 avec 6% au PIB, ne pèse aujourd’hui que 2% dans l’économie. Il représente 35% du volume du déficit commercial et près de 40% du déficit courant. C’est aussi un secteur qui grève le budget de l’Etat, puisque les subventions à l’énergie représentent 7%. Il représente 48% des subventions publiques totales. De surcroît, ces subventions  bénéficient à des couches sociales qui n’en ont pas besoin : 60% des riches en profitent, tandis que 6 à 8 millions de bouteilles de gaz circulent en dehors de l’économie formelle.  La situation, selon le professeur, a été aggravée suite au blocage de l’exploitation des hydrocarbures par des grévistes, au cours de ces dernières années.

Gagner entre 1 et 4% de PIB !

Sur un autre plan, le sous-sol tunisien n’est pas riche en hydrocarbures. Les deux tiers du total de nos productions en gaz et pétrole ont été réalisés entre les années 64 et 80. A partir des années 2000, la production a connu un  déclin progressif. Le déficit physique étant aux alentours de 6 Mtep, l’économiste a précisé que  ce déficit est inquiétant pour l’avenir énergétique du pays. Réitérant son appel en faveur de la création d’un fonds des hydrocarbures qui devrait être  alimenté par les revenus pétroliers, le Pr Nouri a fait savoir qu’à partir de 2011, les subventions à l’énergie  absorbent la totalité des recettes fiscales des hydrocarbures pétroliers. Il a enchaîné en expliquant que la politique de subvention a été instaurée dans les années 80 pour remplir deux objectifs principaux, en l’occurrence  garantir l’accessibilité aux produits de base et assurer  l’équilibre financier des entreprises publiques opérant dans le secteur. En pointant les défaillances de ce système qui a dévié de ses objectifs, l’économiste s’interroge, sur son efficacité. En effet, plus de 20% des plus riches profitent de la subvention, c’est-à-dire qu’elle ne bénéficie pas uniquement aux familles qui en ont le plus besoin. En outre, et depuis un certain temps, l’équilibre financier des principales entreprises énergétiques publiques a été rompu: les dettes de la « Stir » s’élèvent à 1.567 million de dinars, tandis que la compensation non payée par l’Etat à la « Steg » devrait dépasser les 3.122 millions de dinars en 2022. L’économiste a évoqué, à cet égard, une étude qui a fait l’objet d’une thèse de doctorat en 2005 et qui a démontré que la levée de la subvention peut faire gagner à la Tunisie entre 1 et 4% de PIB. Reste à décider s’il faut supprimer la subvention progressivement ou définitivement. « C’est une étude qui est, malheureusement, restée dans les tiroirs de l’université », a-t-il regretté.

Privilégier l’approche économique 

S’agissant des recommandations, l’économiste a fait savoir qu’il existe plusieurs approches, en l’occurrence économique, syndicale,  finances publiques et populiste. S’agissant de l’approche syndicale, elle tend à considérer les réformes comme des menaces pour les avantages acquis. « C’est un discours dangereux », fait-il remarquer, alors que celle des finances publiques se base principalement sur les coupes dans les dépenses budgétivores. L’approche populiste choisit la diabolisation du FMI, comme principal message véhiculé. « Après 2011, le Tunisien, qui était privé de l’information économique, s’est imprégné d’une culture économique totalement erronée », a-t-il regretté dans ce contexte.  Pour l’approche économique qui vise  l’efficacité du modèle économique et atteindre la sobriété énergétique, elle consiste à appliquer la vérité des prix avec une intervention au profit des couches les plus vulnérables.

C’est le meilleur moyen de maîtriser au mieux la consommation énergétique que ce soit de la part des  producteurs ou des consommateurs. A cet égard, l’expérience française, qui repose sur la distribution de chèques énergie au profit des plus vulnérables, peut être, selon l’intervenant, un exemple à dupliquer en Tunisie. Bien entendu, pour pouvoir appliquer ce modèle, l’identification des ménages nécessiteux, moyennant des outils efficaces, s’avère primordial, estime l’économiste.

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