Dégradation de la qualité des semences : A qui revient la responsabilité ?

Il n’y a pas longtemps, le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche a annoncé que les semences sélectionnées pour les différents types de céréales sont disponibles et en quantités suffisantes à partir de septembre 2019 et jusqu’à la mi-décembre, dans le cadre des préparatifs de la saison des grandes cultures 2019-2020. D’après le ministère, les semences sélectionnées assurent toutes les garanties pour une production plus abondante et une qualité supérieure. Néanmoins, depuis quelques années, la qualité des semences est en train de se détériorer. Les agriculteurs se plaignent et même les consommateurs déplorent la qualité des produits agroalimentaires finis (semoules, farine, pâtes…). Pour mieux comprendre les raisons de ce problème, nous avons contacté Mohamed Salah Gharbi, ancien chercheur à l’Institut national de recherche agronomique de Tunisie (Inrat).

«Lorsque nous cherchons à étudier la qualité des semences en culture céréalière, nous devons nous intéresser à deux aspects. Le premier concerne les qualités d’adaptation et de production dans les conditions tunisiennes. C’est-à-dire l’aptitude des semences à donner le meilleur rendement possible, et ce, avec les conditions techniques existantes», explique Mohamed Salah Gharbi, ancien chercheur à l’Inrat qui a longtemps œuvré pour l’amélioration génétique des céréales. «L’autre aspect de la qualité concerne le rendu physique et sa conformité aux exigences», continue Gharbi. Il explique que la Tunisie suit des programmes d’amélioration génétique, et ce, depuis plusieurs décennies. Ces programmes ont permis de donner, au fil du temps, les variétés les mieux adaptées. La Tunisie suivait, depuis la fin du XIXe siècle, les vagues de technologies pour se procurer les meilleures variétés de graines et améliorer d’une manière régulière le matériel génétique (des variétés plus précoces, plus résistantes à la sécheresse et aux maladies…). La Tunisie se met en harmonie avec les autres pays du monde en matière de recherche et développement pour garantir encore et toujours une qualité supérieure. « Au fil du temps, nous avons amélioré la qualité d’adaptation, c’est-à-dire la productivité, la précocité, la tolérance à la sécheresse, la résistance aux maladies… Et nous nous sommes attaqués même à des problèmes propres à la Tunisie, comme par exemple des champignons ultra-résistants et nous avons travaillé, durant des années, pour les combattre. Aussi, avons-nous œuvré à améliorer la qualité physique des semences. Et puisque nous utilisons ces qualités-là, il faut produire leurs semences. Car notre grand avantage en Tunisie est que l’on n’importe pas de semences de blé».
Pour Mohamed Salah Gharbi, et malgré tous ces efforts pour chercher les meilleurs produits, les qualités d’utilisation de ces semences améliorées par les agriculteurs peuvent parfois poser problème. «Les semences peuvent être maigres et donnent des plantes chétives, elles peuvent être porteuses de champignons ou sont parfois mélangées avec d’autres variétés ou même d’autres espèces. Tout cela entre dans la qualité des semences et pénalise l’agriculteur lors de la récole». Le chercheur nous explique que toute la première phase d’adaptation se traite au niveau de la recherche.

Responsabilité partagée
La détérioration de la qualité des semences peut aussi se produire lorsque les agriculteurs multiplicateurs ne respectent pas les normes de production des semences. «Les agriculteurs multiplicateurs produisent en collaboration avec des sociétés de semences sous contrats et avec des normes biens déterminées. Ces sociétés exigent dans les contrats de production de semence des normes techniques que les agriculteurs doivent respecter. A titre d’exemple, parmi ces normes, il est formellement interdit de produire des semences sur une parcelle qui a produit du blé lors de la dernière saison, et cela pour éviter les contaminations, les maladies racinaires, le mélange des genres… Tout cela risque de compromettre la pureté des semences produites». Gharbi précise que ces sociétés doivent, pour leur part, encadrer les agriculteurs multiplicateurs. Autre étape importante qui assure la bonne qualité des semences c’est le contrôle du ministère de l’Agriculture. Ce dernier se charge, à travers les inspections qu’il effectue en cours de cycle, dans les champs, de contrôler l’authenticité de la variété, sa pureté et sa non-contamination par certaines maladies ou problèmes lors des semences. Après la récolte, les agriculteurs vendent les semailles aux sociétés qui se chargent de nettoyer et de traiter le produit et, encore une fois, font appel aux services du ministère pour contrôler le produit fini. Pour Mohamed Salah Gharbi, ces contrôles peuvent parfois ne pas bien se passer. Ces failles-là peuvent compromettre la qualité. «Ce service de contrôle relevant du ministère de l’Agriculture souffre, comme toutes les administrations tunisiennes, d’un manque de moyens techniques et humains. Et lorsqu’un tel service est soumis, en plus de cela, aux règles de l’administration, aucun travail de contrôle ne peut être fait dans les règles de l’art. Lorsque le nombre de personnes qui effectuent ces contrôles est très réduit, les dépassements sont prévisibles et tout cela affecte, encore une fois, la qualité des semences». Mohamed Salah Gharbi ajoute un autre facteur qui cause la dégradation de la qualité des semences, l’inconscience des agriculteurs qui ne connaissent pas leurs droits et ne portent pas plainte lorsqu’ils achètent un produit de mauvaise qualité. Là, le niveau d’instruction compte énormément.
Autre problème, seulement 15% des superficies céréalières sont plantées par les semences certifiées et contrôlées par les sociétés de production et le ministère de l’Agriculture. Les 85% restantes sont semées par les semences des agriculteurs qui, dans la plupart des cas, ne subissent aucun contrôle, n’obéissent à aucune norme de pureté et ne respectent aucun état sanitaire. S’ajoutent à cela les mauvaises conditions de stockage…
Pour Gharbi, le niveau intellectuel des agriculteurs, les moyens techniques qui sont à leur disposition, les superficies des terrains cultivés, le climat, la qualité du sol, la qualité des contrôles ne représentent qu’une partie des facteurs qui déterminent la qualité des semences.

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