Khaoula Abrougui, Docteur en Sciences Agronomiques, à la presse: «L’agriculture de demain sera une agriculture intelligente…»

Les drones figurent parmi les nouvelles technologies auxquelles ont recours les agriculteurs pour améliorer le rendement de leurs cultures. Ces derniers révolutionneront-ils l’agriculture de demain? Docteur en Sciences agronomiques et enseignant chercheur à l’Institut supérieur agronomique de Chott Meriem à l’université de Sousse, Khaouala Abrougui, qui a bien voulu apporter son éclairage sur le sujet, a profité de l’occasion pour nous présenter son nouveau projet. Interview.


Pouvez-vous nous parler de votre nouveau projet?
Dans le cadre d’une convention de recherche tripartite entre l’Institut supérieur agronomique de Chott Meriem, le Centre technique de la pomme de terre et de l’artichaut et la Société nationale de la protection des végétaux, le projet de recherche que nous avons développé porte sur le suivi de développement et l’estimation du rendement final d’une culture de pomme de terre de saison moyennant des capteurs sophistiqués embarqués sur drone. Suite à l’analyse des images obtenues, nous allons pouvoir déterminer certains indices permettant d’évaluer la croissance de la plante pendant son cycle de développement et évaluer finalement l’effet des différentes techniques de plantations étudiées.

Quels sont les usages des drones dans le secteur agricole ?
Les drones agricoles sont bien au service de l’agriculture tant qu’ils permettent de réaliser une inspection visuelle des parcelles afin de détecter et repérer les dégâts de nuisibles, analyser le niveau d’azote et certaines propriétés du sol (résistivité, compaction, salinité…), le taux de chlorophylle, de biomasse, d’humidité, du stress hydrique, etc. Grâce à un vol de basse altitude d’une moyenne de 20 m et d’une haute résolution, le drone nous permet de recueillir des images plus précises et pertinentes qu’avec un satellite. Les exploitants peuvent apporter les bonnes doses de semences, d’engrais, de pesticides, d’irrigation et même des profondeurs de travail du sol modulées au bon moment et au bon endroit permettant une agriculture durable et raisonnée avec des rendements améliorés. Le drone peut aussi servir pour surveiller un troupeau, un ensemble de parcs et de pâturages.

Les drones aident-ils à l’autonomisation des collectivités locales ?
Bien évidemment, l’avenir des drones est certainement prometteur tant qu’il facilite l’autonomisation des collectivités locales. En effet, ces derniers peuvent l’utiliser dans le domaine de l’urbanisme pour les relevés topographiques, la protection de l’environnement par la lutte contre les nuisibles, le tourisme ainsi que le suivi des chantiers dans le domaine de l’immobilier. Toutes ces utilisations exigent un cadre réglementaire.

Comment les structures officielles peuvent-elles participer à promouvoir cette technologie ?
Les gouvernements pourraient contribuer à faciliter l’adoption de cette technologie en accélérant les procédures de réglementation en premier lieu et encourager les jeunes chercheurs, les ingénieurs et les techniciens agronomes en second lieu à s’ouvrir dans leurs travaux sur ces nouvelles technologies en les appuyant pour acquérir le matériel et les outils nécessaires et en troisième lieu, transférer cette technologie aux agriculteurs qui à leur tour pourraient un jour avoir leurs propres drones pour le suivi et la gestion de leurs exploitations!

Ces drones seront-ils un jour accessibles aux petits exploitants agricoles ?
Le recours aux drones présente des avantages pour les petits exploitants agricoles. Leur usage contribue à les aider à appliquer les bonnes quantités d’intrants au bon endroit et au bon moment ce qui leur permet de réaliser des économies en termes d’achats d’engrais…. Cette gestion intelligente, raisonnée et précise permet d’améliorer le rendement et le revenu des petits exploitants tout en respectant l’environnement et la santé humaine.

Ont-ils contribué à booster le développement des nouvelles technologies de l’agriculture ?
De nos jours, les nouvelles technologies sont de plus en plus utilisées en agriculture de précision. Les données recueillies par les capteurs installés sur des machines agricoles ou par imagerie seront analysées par des logiciels d’aide à la décision pour établir finalement des cartes d’application d’efforts de traction en travail du sol, de doses de semis, d’engrais azotés, d’irrigation et de produits phytosanitaires que l’agriculteur doit apporter pour chaque mètre carré de sa parcelle. Ce travail doit s’appuyer sur des moyens de localisation dans la parcelle dont les systèmes de positionnement par satellites et les systèmes d’informations géographiques. On parle donc de l’application modulée; c’est ce qu’on appelle aussi la technologie des taux variables, un des piliers de l’agriculture de précision.
D’un autre côté, des robots permettent aussi le désherbage mécanique des cultures grâce à des capteurs infrarouges suite à la détection des mauvaises herbes par drone. Sans oublier enfin la big data et l’analyse approfondie qui sont les piliers des innovations récentes.

Ces robots sont-ils efficaces et rapides?
Ces robots de désherbage mécanique sont autonomes, efficaces puisqu’ils peuvent détruire jusqu’à 98% des adventices. Ils permettent un travail rapide allant de 10 à 15 km/h et sont précis grâce à leurs systèmes de guidage.

Pensez-vous faire des formations aux professionnels du secteur agricole ?
Je pense qu’il est intéressant de faire des formations aux acteurs de l’agriculture. J’ai déjà commencé à présenter ces nouvelles technologies à mes étudiants de l’Institut supérieur agronomique de Chott Meriem en intégrant un nouveau cours sur l’agriculture de précision et en impliquant deux étudiants stagiaires dans notre projet en cours pour l’obtention de leurs diplômes de fin d’études d’ingénieur. J’ai aussi participé à des journées d’informations et présenté quelques communications sur l’adoption de ces nouvelles technologies, au profit des agriculteurs, et ce, en collaboration avec le Commissariat régional au développement agricole de Sousse et la start-up MakerLab.

Quels sont les avantages et les limites de ces innovations dans le domaine agricole ?
Ces nouvelles technologies en agriculture de précision peuvent apporter beaucoup à l’alimentation et à l’environnement grâce à leurs instruments et leurs mesures précises telles que la géo-localisation des informations, la caractérisation, la prise de décision et la mise en œuvre des pratiques face à la variabilité inter et intra parcellaire dans le but d’optimiser la gestion des exploitations du point de vue agronomique, environnemental et économique. Cependant, ces technologies demeurent coûteuses et inaccessibles à la majorité des agriculteurs. En effet, la technique de modulation nécessite un matériel agricole approprié qui s’adapte aux besoins des plantes, un système de positionnement et des systèmes d’informations géographiques (SIG). En plus, les moissonneuses batteuses, les tracteurs et leurs outils attelés (pulvérisateurs, épandeurs…) sont généralement lourds et causent une compaction des sols vulnérables d’où la nécessité de limiter le nombre de passages annuels de ces engins.

En définitive, que sera l’agriculture de demain?
L’agriculture de demain serait une agriculture intelligente, une agriculture numérique, une agriculture mesurée qui englobe à la fois les outils, les méthodes et surtout les connaissances agronomiques. L’agriculture de demain doit être une agriculture durable respectueuse de la culture, de la terre et de l’agriculteur.

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