Ramzi Bouassida, Expert en finances publiques et locales, à La Presse: «La Tunisie doit capitaliser sur ses avantages comparatifs»

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La situation de l’investissement en Tunisie est marquée par des défis significatifs, mais également par des opportunités. Les réformes en cours sont un pas dans la bonne direction, mais elles doivent être complétées par des actions concrètes pour améliorer le climat des affaires et attirer davantage d’investissements.

Le contexte actuel pose à la Tunisie de nombreux défis, notamment en matière d’investissement. Comment se présente aujourd’hui la situation de l’investissement en Tunisie ?

Malgré une amélioration de la balance commerciale et des réserves en devises qui sont à 105 jours d’importations, la Tunisie traverse une conjoncture économique très difficile. Le taux de croissance du PIB reste faible, ce qui limite son impact sur l’amélioration des conditions de vie de la population. Cette situation est exacerbée par un taux de chômage élevé et une détérioration du pouvoir d’achat. A l’échelle mondiale, les crises se succèdent et freinent la croissance économique globale. La pandémie de Covid-19 a entraîné des perturbations économiques majeures, suivies par la guerre en Ukraine et les conflits persistants au Moyen-Orient. Ces crises ont provoqué une incertitude économique qui dissuade les investissements, tant nationaux qu’étrangers. En Tunisie, l’investissement n’a pas retrouvé son niveau de 2019, montrant une reprise difficile. La Tunisie se classe au 132e rang dans l’indice de liberté économique, l’Institut tunisien de la compétitivité et des études quantitatives (Itceq) a entrepris une analyse de l’indicateur qui évalue, entre autres, la liberté commerciale, la liberté d’investissement et la liberté financière. Concernant la liberté d’investissement, l’indice évalue les restrictions réglementaires imposées aux investissements. Malgré les efforts de l’Etat pour attirer les investissements étrangers, la Tunisie obtient un score de 40, inférieur à la moyenne régionale Mena de 55,42 et à la moyenne mondiale de 56,8. Ce score reflète des défis importants en matière de réglementation et de climat d’affaires. Tant au niveau de l’investissement public que privé, la Tunisie peine à réaliser une croissance suffisante pour réduire son taux de chômage de 16,2% en avril 2024 et offrir une qualité de vie satisfaisante à sa population, ce qui se traduit par une vague de migration de jeunes diplômés et de cadres.

La crise des finances publiques a sévèrement touché l’investissement public, avec un budget alloué en constante diminution. L’Etat ne parvient plus à investir adéquatement dans les grands projets, que ce soit directement ou par le biais de ses entreprises publiques qui enregistrent de plus en plus de pertes. En 2018, ces entreprises se sont engagées dans une spirale de prêts en devises avec la garantie de l’Etat, entraînant une augmentation considérable de leurs frais financiers, en particulier des intérêts bancaires. Cette situation a un impact direct sur les infrastructures et les services publics. Les projets de développement stagnent, affectant la qualité de la vie des citoyens et réduisant l’attractivité du pays pour les investisseurs étrangers. Les entreprises publiques, lourdement endettées, sont incapables de jouer leur rôle de moteur de l’économie nationale.

Face à cette situation, l’Etat s’est engagé dans un processus de réformes visant à lever les restrictions en adoptant une liste négative des activités soumises à autorisation. Cette mesure vise à libérer le potentiel d’investissement et à encourager les investisseurs à s’engager dans des projets à haute valeur ajoutée. L’écosystème des startup, en pleine expansion, offre des opportunités d’investissement tant au niveau national qu’international. La stratégie nationale d’amélioration du climat des affaires 2023-2025 a adopté 185 mesures pour améliorer l’environnement économique. Parmi celles-ci, la suppression de 25 autorisations a été mise en place pour faciliter les investissements. Il serait pertinent d’évaluer le volume des investissements dans les secteurs touchés par ces suppressions pour apprécier l’efficacité des mesures adoptées.

Malgré ces initiatives, la Tunisie continue de faire face à plusieurs défis. Les réformes économiques doivent être accompagnées d’une stabilité politique et d’une amélioration de la gouvernance. La bureaucratie et la corruption restent des obstacles majeurs à l’attraction des investissements. De plus, le système bancaire et financier nécessite des réformes pour offrir des conditions plus favorables aux investisseurs. Il est crucial de renforcer les infrastructures, améliorer le cadre juridique et réglementaire, et assurer une stabilité macroéconomique pour attirer les investissements étrangers et stimuler la croissance économique. L’engagement du secteur privé, soutenu par des politiques publiques efficaces, est essentiel pour relancer l’économie tunisienne.

La situation de l’investissement en Tunisie est marquée par des défis significatifs, mais également par des opportunités. Les réformes en cours sont un pas dans la bonne direction, mais elles doivent être complétées par des actions concrètes pour améliorer le climat des affaires et attirer davantage d’investissements. Une approche intégrée, combinant efforts publics et privés, est essentielle pour assurer une croissance durable et inclusive.

Quelles sont les opportunités qui se présentent pour les investisseurs étrangers selon la Loi de finances 2024 ? Quelles sont les réformes qui doivent être introduites pour encourager les investissements étrangers ?

La promotion de l’attractivité du territoire est devenue une composante essentielle de toute politique économique. Attirer les Investissements directs étrangers (IDE) vise à créer de l’emploi, transférer des technologies, augmenter les exportations et contribuer au développement économique. Pour la Tunisie, il est crucial d’attirer et de retenir les investisseurs étrangers, surtout dans un contexte de concurrence mondiale et africaine de plus en plus féroce. Ces dernières années, certaines entreprises se sont délocalisées au Maroc en raison de l’instabilité sociopolitique en Tunisie. En 2023, les flux d’IDE ont atteint 806 millions de dollars, enregistrant une hausse de 13,5% par rapport à 2022, selon les chiffres de la Fipa. Les principaux secteurs ayant attiré ces investissements sont : l’industrie manufacturière : 62,1% ; le secteur des énergies: 19,7% ; les services : 17,5% ; l’agriculture : 0,8%. Il est essentiel d’encourager les investissements étrangers dans le secteur agricole qui représente un grand potentiel pour les exportations et la création d’emplois.

La Loi de finances 2024 a introduit plusieurs avantages fiscaux pour stimuler l’investissement dans des secteurs clés, tels que les énergies renouvelables dont il faut encourager à la création et au financement des entreprises dans le domaine des énergies renouvelables, de l’économie verte, bleue et circulaire. Ces mesures bénéficient tant aux investissements nationaux qu’étrangers et viennent en soutien aux dispositions du nouveau code des investissements. La Tunisie a conclu plusieurs accords pour la construction de sites de production d’électricité photovoltaïque, alignés avec sa stratégie de PPP pour un secteur à fort potentiel économique. La position géographique de la Tunisie, située au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et du Moyen-Orient, en fait une destination privilégiée pour les grandes entreprises cherchant à s’implanter en Afrique du Nord. Cependant, plusieurs facteurs déterminants peuvent influencer la décision des investisseurs étrangers, notamment le climat sociopolitique, la bureaucratie et la concurrence. Pour maximiser l’attrait des investissements étrangers, plusieurs réformes doivent être introduites du coup l’amélioration du climat des affaires : la réduction de la bureaucratie, c’est-à-dire simplifier les procédures administratives et réduire les délais pour l’obtention des autorisations nécessaires à l’établissement et à l’exploitation des entreprises. Il est crucial de renforcer les mécanismes de transparence et de lutte contre la corruption pour assurer un environnement commercial plus fiable et d’assurer une stabilité des lois et des régulations, surtout au niveau fiscal pour créer un environnement prévisible pour les investisseurs. La stabilité politique est essentielle aussi pour rassurer les investisseurs. Des périodes d’instabilité politique peuvent engendrer des incertitudes et des risques supplémentaires pour les entreprises et maintenir une stabilité macroéconomique en contrôlant l’inflation et en assurant une politique monétaire prévisible. La Tunisie doit capitaliser sur ses avantages comparatifs, tels que la main-d’œuvre qualifiée, les coûts de production compétitifs, et les infrastructures développées. Les secteurs clés comme le textile, l’industrie pharmaceutique, les technologies de l’information et les énergies renouvelables peuvent être des pôles d’attraction. Il est crucial d’introduire des réformes structurelles visant à améliorer le climat des affaires, renforcer les infrastructures, et stabiliser le cadre juridique et financier. Ces réformes permettront de créer un environnement plus attractif pour les investisseurs étrangers, stimulant ainsi la croissance économique et le développement durable du pays.

Le rétablissement de la confiance des investisseurs est une condition nécessaire pour relancer l’économie et dynamiser la croissance. Quelle est votre appréciation sur ce sujet ?

Le rétablissement de la confiance des investisseurs est essentiel pour relancer l’économie. La création de richesse reste très limitée en raison de la réticence des acteurs économiques. Plusieurs facteurs expliquent cette réticence depuis la révolution.  L’insécurité juridique représente un obstacle majeur pour les investisseurs. Les acteurs économiques attendent les résultats de la commission de réconciliation nommée par le président de la République. Une résolution rapide et transparente de ces affaires pourrait renforcer la confiance des investisseurs. Il est essentiel de rétablir la confiance des investisseurs, ce qui influence directement leur décision de s’engager dans des projets économiques, d’injecter des capitaux et de soutenir le développement des infrastructures et des industries. La confiance des investisseurs contribue à la stabilité économique. Lorsque les investisseurs sont confiants, ils sont plus susceptibles de faire des investissements à long terme, ce qui favorise une croissance durable. Les investissements directs étrangers (IDE) sont une source importante de création d’emplois. La confiance des investisseurs permet de lancer de nouveaux projets et de développer des entreprises existantes, créant ainsi des opportunités d’emploi.

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